Legs d’Algérie – Louise Narbo/Stéphane Léage/Dominique Mérigard

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©Dominique Mérigard

Paru chez Area Paris, dans la collection AdPositum, préfacé par Christian Gattinoni, Legs d’Algérie est composé de trois ouvrages proposant les travaux de Louise Narbo, Stéphane Léage, et Dominique Mérigard. Chacun des fascicules interroge à sa manière la guerre d’Algérie, mais aussi, plus largement, les rapports conflictuels, complexes, mémoriels que la France et l’Algérie entretiennent.
Il ne s’agit pas d’ouvrages historiques, mais de travaux photographiques où l’autrice et les auteurs creusent chacun le sillon de la mémoire pour révéler des pans du passé qui nous lie au territoire algérien à l’aune de leurs propres histoires, de leurs propres vies.

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Louise Narbo, avec Voyage en terre oubliée, revient sur son passé, sur sa fuite d’Algérie au moment de l’Indépendance (1962), mais c’est un voyage avant tout immobile et intérieur, celui d’une déracinée qui cherche en elle et à travers ses images à retrouver ce pays. « De la guerre, j’ai gardé ces peurs dans la nature… ». Des photographies de paysages, des montages aussi avant ces mots : « Il ne restait que des traces… » Une carte d’Europe, territoire lointain, un visage et les remous d’un navire : le voyage de Louise Narbo est poétique et mental. Elle explore une Algérie non pas disparue, mais oubliée. Les réminiscences, des odeurs, des bruits, des peurs aussi, se traduisent par une géographie mentale où chaque instant, chaque lieu, chaque odeur, ressurgissent par fragments, comme le souvenir d’un rêve au réveil. Il y a de la nostalgie et de la mélancolie dans les images, les montages de la photographe, mais aussi un parcours sinueux et complexe. Qu’est-ce que l’Algérie alors ? Tout et rien. Tout parce que c’est la où vécut Louise, là où elle grandit, ses origines. Rien, parce qu’elle n’y est plus jamais retournée depuis sa fuite.

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©Louise Narbo
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Chez Stéphane Léage, la relation à l’Algérie prend la forme d’une généalogie complexe et presque contradictoire. Composé de photographies d’archive, de témoignages de proches, de documents d‘état civil, Du sable dans les archives naît de l’idée que Stéphane Léage se sent, est français, et que cette évidence ne paraît pas devoir être remise en question. Sauf que. Sauf que l’auteur en plongeant dans les racines de ses origines croise des ancêtres venant de loin. Une femme, Djouar, au portrait peint, née en Algérie en 1850. D’autres, juifs séfarades, ashkénazes, d’autres qui prennent des prénoms français ou même la nationalité et qui préfèrent la voie de l’exil vers la France. Des images de familles heureuses, des photos d’école, des papiers militaires… Bref, une histoire extrêmement compliquée, où se mélangent les cultures arabes, juives, algériennes, françaises… Et au final, Stéphane Léage qui a aboli cette certitude d’être français. Qu’est-ce que l’Algérie ici ? Un territoire, un creuset surtout, un berceau où la situation est bien loin de la simplification opérée par les manuels d’histoire qui distinguent européens et autochtones. Il n’y a pas des Algériens, monolithiques, mais des peuples qui se sont rencontrés, aimés, connus, déchirés aussi.

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©Stéphane Léage

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Dominique Mérigard dans Les hors-champs de l’Histoire questionne la mémoire dramatique de la guerre d’Algérie. Son projet voit le jour quand, après le décès de son oncle Charles, il récupère des photographies témoignant de ses années de service militaire là-bas, service qui se déroulait durant le conflit d’indépendance. L’armée française facilitait l’accès à la photographie des appelés en leur proposant des développements et tirages à bas prix. Peu après Dominique croisera la route de Julien, un voisin, qui évoquera sa guerre et le trauma qu’elle fût, et il se rappellera les archives algériennes de Papa Jean. Ce sont des photographies toutes simples, celles que l’on attend : un soldat en uniforme sur fond de soleil, des paysages désertiques, des commémorations, quelques Algériens s’appuyant sur des cannes. Une mémoire minuscule et qui porte pourtant en elle une violence inouïe. Julien n’a jamais accepté la mort de ses camarades au combat, Charles détestait ce qui se rapportait aux Algériens… Qu’est-ce que l’Algérie chez Dominique Mérigard ? Un trauma… Le souvenir d’un conflit mal nommé, d’une guerre qui ne portait pas ce nom. La mémoire aussi de violences et de répressions.

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©Dominique Mérigard

Les trois ouvrages composant Legs d’Algérie abordent donc chacun à leur manière, avec trois sensibilités différentes, cette histoire qui nous unit à l’Algérie. Et c’est heureux. En effet, la mémoire franco-algérienne est d’abord et avant tout une mémoire traumatique. Il y a la colonisation et ses injustices criantes, la guerre perdue, il y a les violences de part et d’autre, il y a les exils forcés, les attentats, et même la reconnaissance longue et difficile du mot guerre. Mais derrière ceci se cachent pourtant des vies humaines, des histoires personnelles, des relations d’amour, de haine. Le propos de Legs d’Algérie n’est pas de faire un livre d’histoire, mais plutôt des livres de mémoire, avec peut-être l’ambition si ce n’est de guérir celle-ci, au moins de l’apaiser un peu. Quand Louise Narbo revient dans son espace mental sur cette Algérie, quand Stéphane Léage parcourt sa propre histoire et quand Dominique Mérigrad interroge les souvenirs de ces appelés partis à une guerre sans nom, que font-ils d’autre que de tenter de mettre de la lumière sur des ombres douloureuses ?

La France vit avec son passé algérien, mais elle vit mal avec. Il y a eu trop de non-dits, de violences tues, de souvenirs d’horreur. L’Algérie vit, elle aussi, difficilement avec ce passé, cloîtrée qu’elle est dans le souvenir de la victoire et des vengeances qui lui succédèrent.

Pourtant, il faudra bien un jour que les deux pays fassent un pas en avant, cherchent à retrouver une forme d’apaisement. Ceci passe bien entendu par des volontés politiques, mais aussi très certainement par des ouvrages comme Legs d’Algérie qui a leurs façons délicates, subtiles ouvrent la porte à une troisième voie plus apaisée. Il faudra passer par une compréhension des tenants et aboutissants de cette histoire, de ce passé, et éviter de tout simplifier. L’autrice et les deux auteurs en nous dévoilant ainsi leurs histoires, leurs mémoires contribuent de la plus belle manière à ce pas de réconciliation.

Merci donc à Louise Narbo, Stéphane Léage et Dominique Mérigard d’avoir osé entrebâiller celle-ci, d’avoir montré que le passé n’est jamais ni tout noir ni tout blanc…

Site internet de Louise Narbo

Site internet de Stéphane Léage

Site internet de Dominique Mérigard

Site internet d’Area Paris

20€ pièce ou 40€ les trois

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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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