Fragile - Pauline Alioua

©Pauline Alioua

FRAGILE (handle with care) fanzine composé d’images de la photographe Pauline Alioua a été publié par LE BAL Books en mars 2023. Ce livre récompensait la lauréate du concours fanzine Dummies#2 qui faisait suite à un appel à participation lancé pendant le Rolling Paper 4 de septembre 2022.

FRAGILE (handle with care) naît suite à un grave accident de la circulation dont est victime la photographe marseillaise. Lors de son séjour de deux semaines en réanimation, elle prend conscience de la fragilité des choses, en premier lieu de l’existence.

Le fanzine développe une narration complexe, intime et touchante autour de cette idée.

Un spray de gel de désinfectant, peut-être du gel hydroalcoolique, sur un guéridon paré d’une nappe blanche fait face à une main sur laquelle un pigeon est posé. A terre d’autres picorent.

Rien ne bouge, tout est immobile, serein.

Pourtant quelques pages plus loin un serpent ondule des voitures sont empilées, épaves d’acier ; une main posée sur un lit tient un téléphone. On l’imagine sonnant dans le vide.

Les tags évoquent Jésus-Christ fils de Dieu, les anges se voilent le visage et des néons blafards hantent le crépuscule.

Il règne une atmosphère de fin du monde, d’angoisse existentielle, d’amours incertaines. Les dieux se sont enfuis ou nous snobent, les arbres portent les noms des morts, et les nuques des femmes rappellent les poids qui pèsent sur elles.

Mais, quelque part, l’espoir n’est pas mort, simplement il s’effiloche comme un tissu trop fragile.

©Pauline Alioua

Bien souvent nous vivons trop comme si nous étions immortels, ou plutôt en oubliant ce que nous savons inéluctable. Certainement par peur, peut-être aussi parce qu’il pourrait être assez désespéré de penser sans cesse à notre finitude.

FRAGILE (handle with care) est là pour nous ramener à la réalité. Nous sommes mortels, et nous ne cessons de mourir à chaque instant. C’est aussi, peu ou prou, ce que nous disent les textes bouddhistes d’ailleurs. Par mort, il ne faut toutefois pas entendre simplement la fin de vie. Pauline Alioua nous invite à comprendre que la fragilité fait partie de la condition humaine. Fragilité de la vie, mais aussi de l’amour, de la liberté, de tant de choses qui nous paraissent si évidentes.

Simone de Beauvoir a écrit dans le Deuxième Sexe : « N’oubliez pas qu’il suffira d’une crise économique, politique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. » Cette phrase pourrait servir, aussi, de chapeau au travail de Pauline Alioua.

Bien qu’elle ne traite pas spécifiquement de la condition féminine dans FRAGILE (handle with care), il apparaît que ce que dit la philosophe peut s’extrapoler à nos existences.

©Pauline Alioua

Il suffit d’un rien, d’un déclencheur pour que tout soit bouleversé, modifié, chamboulé. Un mot maladroit et c’est un ami qui part, un véhicule qui oublie le code de la route et c’est l’hôpital, un.e politique élu.e par l’abstention et ce sont les femmes qui perdent leurs droits les plus essentiels.

La fragilité, nous dit Le robert, c’est le « caractère de ce qui se casse facilement ». Or nous sommes trop persuadés de la solidité de ce qui nous entoure, convaincus que la maladie, le divorce, la dictature ou la mort c’est pour les autres.

Pauline Alioua reconsidère ceci. Ses images pleines de fragilité, d’une tension inquiète, poussent peu à peu le lecteur vers ses zones de repli. Rien n’est acquis, tout peut cesser.

Les chaussures à talons gisent sur le sol, les corps et les murs sont marqués. Le Temps, la Vie font leur œuvre.

Malgré tout, le message délivré n’est ni sinistre, ni pessimiste. En dernier lieu, nous pourrions penser la fragilité comme une force. Ce n’est pas nécessairement une ode à la vie, mais plutôt une invitation à considérer ce que nous avons, ce à quoi nous tenons.

Et en le considérant à lui accorder la valeur qu’il possède.

Même si nos quotidiens sont souvent un peu pareils, même si l’Autre nous agace, même si nous avons la flemme de chercher le sourire ou la beauté, il paraît primordial de s’y arrêter quand même. Parce que tout ça peut aussi bien s’achever dans un battement de cil. Savourons donc la fragilité de tout, restons alerte. Et ne perdons jamais de vue que tout ceci n’a qu’un temps et battons-nous pour le garder.

Rien n’est jamais acquis définitivement, rien n’est éternel… FRAGILE (handle with care), grâce à Pauline Alioua, nous donne un regard décentré sur les choses et les moments.

A nous de faire l’effort de les suivre.

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