
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
J’ai rencontré le livre de Melanie Schoeniger, To Paradise, par l’intermédiaire d’Ilias Georgiadis. Quand on connaît l’amour de celui-ci pour les beaux ouvrages, celui dont il était question ne pouvait qu’être une réussite.
Et ça en est une !
Entièrement fait main par Melanie Schoeniger, les cinquante exemplaires sont un ensemble de livrets de papier noir épais et dense reliés à la bodonienne. Les images proposées sont, elles, imprimées en risographie avec une encre argentée.Cet opus questionne notre relation au paradis, et partant d’un lieu qui est cher à la photographe, il invite à une réflexion plus vaste sur l’idée d’Eden.
Quiétude… Une branche de cerisier en fleur, et quelques carpes koï qui tournent lentement sous la surface transparente.
Des nénuphars et le ciel orné de feuilles de palmiers…
Le temps paraît suspendu à la légèreté de l’air, au lent ressac des eaux. Il faut chaud sûrement et le monde ne pèse plus rien sous le souffle des alizés.
Encore un palmier, un autre, des nuages tempèrent la chaleur.
C’est la mer, quelques gouttes de pluie chaude, la vie immobile et immense.
Ça ressemble au Paradis, à la terre d’Adam et Eve où n’existerait même pas la possibilité du péché, à un endroit refuge loin des hurlements du monde, la violence et la cacophonie des humains.
Qu’est-ce que le Paradis ? Une belle histoire pour les croyants qui cherchent un espoir de rédemption ? Ou bien un lieu réel symbolisant tout ce qui concoure à notre Joie, notre bien-être ?
Melanie Schoeniger a choisi de trouver le Paradis, vivante plutôt que d’espérer son existence post-mortem. De ses voyages à travers le globe, elle garde des souvenirs émus, fragiles, délicats, mais c’est une île précise, un écart loin de la civilisation, là où se mêlent l’air, l’eau, la touffeur des forêts, la chaleur du soleil, qui la fait se sentir être pleinement.
Le concept paradisiaque ici n’est pas théologique, ou à l’inverse une carte postale de plage, mais bien une réflexion sur l’unité. Parce qu’appelle-t-on Paradis ? Avant tout un territoire dans lequel nous nous sentons entiers, auquel nous avons la sensation indéfinissable d’être totalement uni.
Chacune des photographies indique la reliance. Dans le bouddhisme, existe l’idée d’interdépendance. Elle stipule que chaque élément, quel qu’il soit, n’existe pas sans les autres. Ainsi, le prédateur ne vit pas sans sa proie, l’arbre sans ses feuilles, l’être humain sans l’oxygène produit par les feuilles, etc. Cette idée, que nos civilisations modernes et occidentales ont totalement occultée, participe pourtant pleinement à considérer les espaces naturels non pas comme des lieux qui pourraient être simplement explorés, consommés, asservis, appauvris, mais comme des endroits où nous ne sommes qu’une simple partie du tout. Un nénuphar, des poissons, notre regard…
Tout est ici. Tout.
Partant de là, les fragments photographiques, délicates poésies visuelles qui constituent l’ouvrage, sont autant d’échos, d’éloge à ce qui nous entoure, mais aussi à la Vie et au Vivant.
To Paradise questionne notre place dans le grand Tout, dans ce mystère qu’est la Terre. Nous avons, nous êtres humains, une très fâcheuse tendance à transformer ces endroits idylliques de la manière la plus triviale et dramatique qui soit, faisant d’eux des amas de béton pollués, des dépotoirs pour riches touristes que nous appelons fort maladroitement : paradis. Nous transformons le paradis en enfer pour notre simple plaisir, détruisant écosystèmes et espèces vivantes.
Est-ce la bonne voie ?
Non, car si nous regardons avec attention les images de To Paradise, chacune contient l’unité, la quiétude à laquelle nous aspirons, cette beauté tranquille où nous pouvons nous ressourcer, nous épanouir, nous unir.
Melanie Schoeniger se livre à un travail subtil, fait de délicates touches mémorielles, de réminiscences d’avant, d’espoirs pour demain. L’air est léger entre les pages, l’eau tiède et les circonvolutions des poissons nous invitent à la rêverie.
Il faut prendre son temps, savourer ces instants exquis, aspirer à ce qu’ils durent le plus longtemps possible.
C’est sûrement ça le Paradis terrestre : un lieu où nous sommes enfin nous. Juste nous.
150€