
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
Dead End d’Antoine d’Agata, accompagné d’un texte de Tania Bohórquez, est le troisième opus proposé par la maison d’édition Dumas et Salchli. Celle-ci propose de petits livrets, intitulés Photo Zine, avec un tirage original signé.
Proche du fanzine musical par le format et l’épaisseur, le livre n’en reste pas moins de belle qualité, avec une impression soignée, proposant un regard novateur avec des artistes éprouvés.
« Tu alimentes un monstre qui te laisse sans force » écrit Tania.
Des images de corps nus recroquevillés de seringues d’extases fiévreuses et suintantes de frissons de souffrance de plaisir.
« Quelque chose meurt et tu t’y accroches. »
Des corps étranges, difformes, troués. Comme s’ils devenaient autre chose qu’une représentation d’eux-mêmes dans la défonce. Et, de fait, il s’agit ici d’un passage via l’IA.
« Je ne crois plus en toi ni en rien. »
Des corps encore et encore dans des vignettes petites grandes uniques multiples une obsession de membres de bras de jambes déformés par les algorithmes de seringues de voluptés chimiques factices parfois un seul corps avec des gants bleus étranges.
Une folie qui tourne sur elle-même qui cherche la sortie, ne la trouve pas.
« J’efface ton souvenir. »
Dead End pourrait ressembler au premier abord à un ouvrage « traditionnel » d’Antoine d’Agata puisqu’il met en avant les mêmes photographies qui font le cœur de son travail. La nudité, le drogue, l’obsession. Pourtant, avec l’usage de l’IA pour retravailler l’image, le photographe emprunte un chemin détourné, une autre voie qui le propulse, avec son lecteur, dans des espaces indéfinis, baroques et grotesques.
C’est Antoine d’Agata en n’étant plus lui. C’est déjà remarquable en soi, parce qu’en y regardant bien, sa carrière est déjà conséquente et multiple. Pourtant, pour qui suit un peu son œuvre, il n’a jamais cessé d’interroger la photographie, le médium photographique, tout en discutant le monde. Que ce soit via des caméras thermiques pour Virus ou la gravure pour Baudelaire, il ne se contente pas de l’image en tant que telle et il semblait donc logique que cette nouvelle ère qui s’ouvre avec l’IA devienne son terrain d’exploration.
Mais, derrière la recherche où l’image devient autre chose, il y a ce questionnement entre ce qui se passe, ce qui est saisi et la finalité des deux. Par exemple, les corps représentés le sont dans les affres de la drogue, mais aussi paradoxalement la volupté qu’elle peut apporter. Ambivalence qu’il convient de discuter, comme il convient de réfléchir à ce que le photographe fait. Voyeurisme ? Complaisance ? Information ? Discussion ? La frontière est mince entre ces différents espaces. Les réponses sont soit multiples et complexes, soit inexistantes. De surcroît, le passage par les logiciels d’IA n’apporte pas plus de solution puisqu’ils déforment ce que l’appareil a perçu pour proposer quelque chose qui n’a pas plus de signifiant.
Finalement, ce qui ressort de Dead End, c’est un sentiment d’inaboutissement, l’idée que la drogue est une impasse, la photographie est une impasse, l’IA est une impasse et que l’auteur se heurte sans cesse à tous ces éléments sans jamais parvenir à trouver ou à déterminer un axe, un chemin à suivre, ce qui pourrait s’apparenter à une vérité si celle-ci existait.
Peut-être simplement parce qu’il n’y en a pas ?
L’œuvre de d’Agata se nourrit de cette incomplétude, comme elle se nourrit de corps, de dope, de nuits sans fin. Alors que l’image va entrer dans un autre espace très prochainement, une sorte de post-post-photographie, Dead End nous rappelle que le monde, souvent, est une vaste énigme et que la technique n’y changera pas grand-chose, pas plus que les artifices des substances ou du sexe.
Il n’y a pas de vérité, pas de mensonge, des doutes tout simplement, dans lesquels on se fourvoie paraît nous dire le photographe.
Antoine d’Agata est membre de l’agence Magnum
Site de Dumas et Salchli éditions
29€