Wild Rose – Gabrielle Duplantier
Depuis plusieurs années Gabrielle Duplantier construit un univers qui lui est propre. Après Volta (deux fois édité), Terres Basses, c’est au tour de Wild Rose de paraître aux éditions lamaindonne apportant une pièce de plus, poursuivant cette œuvre vaste, complexe et délicate. Parce qu’il y a un vrai monde chez elle dans lequel les lecteurs, lectrices doivent s’immerger sans attendre.
Avec Wild Rose, Gabrielle est revenue sur les terres de son enfance lors du confinement, blessée, attristée et trahie. Plus précisément dans la demeure familiale où ne vit désormais que son père et où elle passa une partie de ses jeunes années et si construisit. Maison lieu, maison monde, espace, territoire dans le territoire. De cette rencontre, de ce retour, elle nous offre des images miroir, une sorte de carte mentale au sein de laquelle se mêlent le passé, le présent, la présence, l’absence, comme un autoportrait en creux.
Des visages, toujours et encore des visages de femme. L’univers ici est féminin. Puis, des fenêtres, des sous-bois, la neige et la lumière qui pleut entre les arbres. On grimpe le vieil escalier, la batissse est un refuge, pourrait devenir tombeau si l’on n’y prend pas garde. Une présence indicible est palpable sans qu’on ne sache qui elle est ; le ciel se bouche d’immenses nuages, les enfants caracolent, des lianes entravent la forêt.
C’est un conte plein de sortilèges, de magie blanche, de démiurges où se mêlent des êtres imaginaires, des fontaines magiques, les bois encore et encore, des animaux compagnons.
Parce que c’est ça d’abord la photographie de Gabrielle Duplantier : une image hors du temps, hors des repères trop évidents et réducteurs. Chacune nous rapproche et nous éloigne d’une réalité objective ; un instant, on pense tenir quelque chose, on croit savoir, finalement, nous sommes dans une sorte d’errance délicieuse où se perdre est le mieux qui nous arrive.
La maison est au-delà de la maison, comme les photographies sont au-delà de la photographie. Personnifiée, la bâtisse prend forme vivante, l’endroit se transforme. C’est là, ce n’est pas ici, c’est un et c’est l’ensemble. Il faut prendre le temps de relire les différents livres de l’autrice, de voir qu’au fur et à mesure son travail met en place un univers extrêmement particulier au sein duquel les choses ne sont jamais parfaitement ce qu’elles sont.
Les lieux deviennent atemporels, les personnages, presque exclusivement féminin, des archétypes. Et c’est en ça que l’imaginaire de Wild Rose nous rapproche sans cesse du merveilleux. Au fond, la vie quotidienne et ses contingences n’ont pas grand intérêt, le réel ressemble trop à ce qu’il est, ne délivre pas grand-chose de plaisant. En prenant des chemins de traverse, en parcourant les bois la nuit, en dormant sur les souches, tout se transforme. Les figures féminines deviennent fées, sorcière, reine, princesse, mais surtout et avant tout puissantes et pleines de gloire. L’animal porte sa propre mystique, et derrière sa vitre le père tel un ancien roi contemple les choses un peu incrédule et bougon. Ou inquiet. Qui sait…
Wild Rose est l’histoire d’un retour, d’un refuge aussi. Elle revient blessée, meurtrie par les aléas de la vie, Gabrielle Duplantier. Puis durant la réappropriation de ces territoires enfantins, il faut panser les fêlures, calmer les douleurs. Vivre. Pourtant, elle garde en soi cette mélancolie qui traverse en permanence son travail. Rien n’est triste, vraiment triste, reste toutefois une langueur sourde qui vient donner aux lumières des teintes brumeuses.
Poétesse des émotions, la photographe n’a de cesse de nous transmettre ses mouvements d’âme, ses questionnements, ses regrets et ses espoirs. Et c’est aussi en ça que nous la suivons. Wild Rose trace ce sillon, cette structure : la beauté, la délicatesse, la force et la mélancolie sont partout présentes, il ne tient qu’à nous de les voir. Si nous ne le pouvons pas, empêchés que nous sommes d’accéder aux merveilles par top de contingences, de matériel, laissons-nous porter, subjuguer, par ce qui nous est donné à regarder.
Un jour sûrement, nous comprendrons mieux ce qui nous entoure.
Gabrielle Duplantier est en signature à Polycopies Paris le 08 novembre 2024 à 18h.
42€