

5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques

Chroniques littéraires & photographiques

Avec ce numéro 5 de la revue Tropical Stoemp, les éditions Le Mulet poursuivent leur rendez-vous bisannuel. Pour mémoire, le stoemp ici proposé se compose d’une large sélection de photographes ayant candidatés pour « illustrer » la chanson de Leonard Cohen : You want it darker. Autant dire que cet opus respire la joie de vivre, la résilience et le développement personnel.
Un crâne de singe momifié, une photographie post-mortem d’enfant, un serpent ondulant, des cavernes insondables, des corps et des images tremblantes. La mort nous guette à chaque instant, elle est là, et comme le dit la chanson :
« A million candles burning
For the help that never came
You want it darker »
Une main parcheminée – la vieillesse est un naufrage. Des images d’archive, Jérôme Bosch, tout est mort à l’intérieur. L’amour ne vient pas, la flamme s’est éteinte. Les squelettes grimacent, ricanent et dansent. Hineni hineni…

Dans nos sociétés occidentales nous avons peu à peu oublié la mort. Bien sûr, nous sommes conscients de notre mortalité, mais de crème de jour en recettes miracle, les prophètes du bien-être, les chantres de l’éternelle jeunesse, les marchands du Temple nous font croire que mourir c’est pour les autres. Vieillir aussi. Et souffrir tout autant. Il n’y a pas de mortalité possible, pas de corps décatis, de peaux flasques. Il y aurait simplement la possibilité d’une forme de disparition accompagnée de rien d’autre, ni maladie, ni déchéance, un élégant tour de passe-passe où du jour au lendemain nous ne sommes plus là. Dans le même temps, la déréliction profonde qui anime notre époque renforce ce sentiment : il n’y a même plus vraiment un dieu (quel qu’il soit) pour nous rappeler que chaque minute est un pas de plus vers la tombe.
Dans sa chanson aux allures de testament, Leonard Cohen s’interroge sur cette fin. Lui se tourne vers son dieu, mais sans trouver, ni donner, de réponses claires.

Dès lors, peut-être que les photographes du Tropical Stoemp 5 ont un regard plus acéré sur la question ?
La photographie, par essence, garde une trace, un souvenir. Il n’est pas certain que ce soit une manière de lutter contre notre finitude, mais c’est, par contre, une réelle possibilité de constater ce qui est.
Les corps, les crânes, la Camarde deviennent des sujets. Un constat apparaît : la mort est bien présente dans nos quotidiens. Elle est là dans un déguisement, un crâne rieur, l’éphémère du papillon, les plaques de marbre gravées, les crocs acérés d’un chien. Elle est partout, tout le temps. Il ne s’agit pas de l’oublier, de la voiler, mais d’avoir conscience de son inéluctabilité pour pouvoir vivre.

Cet opus a quelque chose d’une vanité ou d’une danse macabre. De la première, elle rappelle que nous sommes tous aussi fragiles qu’une bulle de savon. Un matin, nous ne nous réveillons pas, nos proches nous pleurent, le temps finit par s’écouler comme les eaux d’un fleuve. De la seconde, elle prend la dimension d’enseignement : l’image ici vaut mille mots. Au Moyen-âge, les croyants, pour la plupart illettrés, contemplaient dans les églises des frises murales où des squelettes joyeux emportaient dans le trépas tout à chacun. Au XXIème siècle, ce passage par l’image photographique a la même fonction : éduquer les lecteurs –analphabètes du savoir mourir – à leur propre mortalité ainsi qu’à la mort de leurs amours, de leurs proches, de leurs idéaux.
Les éditeurs, Simon Vansteenwinckel et Matt Van Asche, se gardent bien de nous prendre par la main et de nous faire la leçon. Au contraire, avec cette légère ironie qui parcourt l’ensemble de leurs publications, ils semblent nous dire : « Toi aussi… ». Ils le font de la plus belle manière, réussissant encore une fois à donner une harmonie graphique, visuelle, intellectuelle aux travaux conjoints de vingt-huit photographes !

Et puis au final, ce Tropical Stoemp nous remet les pieds sur terre : nous ne sommes pas grand-chose dans ce fatras qu’est l’univers et son immensité. A peine plus, et encore, que le plancton dont se nourrissent les baleines… Alors acceptons gaiement notre sort : demain, nous serons morts, la belle affaire ! Il nous reste tant de choses à vivre d’ici là…
Avec les photographies de :
Pietro Arini, Charlotte Auricombe, Hernán Azócar, Gil Barez, Philippe Beck, Bénédicte Blondeau, Stéphane Charpentier, Bernard Chevalier, Yannick Cormier, Christopher de Béthune, Guillaume Delleuse, Frédéric D. Oberland, Philippe Dollo, Laëtitia Galita, Yves Houtmann, Andras Ikladi, Lyndon Johnson, Aleksei Kazantsev, Joanie Kneppers, Thibaut Koralewski, Artur Leão, Vincent Mourlon, Ariel Pascuali, Alessandro Silverj, Vanda Spengler, Rafael Tanaka Monzó, Jérémie Vaudaux, Wake up + Images d’Archives.
18€