

5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques

Chroniques littéraires & photographiques

De manière générale, le portrait photographique de presse reste un exercice plutôt classique, avec ses codes, ses règles, et des résultats sensiblement similaires. Corentin Fohlen, lui, par sa pratique bouscule celui-ci offrant un regard neuf et iconoclaste.
Le résultat de son travail vient d’être publié par la maison d’édition Light Motiv, sous le titre Regardez ici pour voir. Les images sont accompagnées de textes du photographe, notes et souvenirs qui relatent la prise de vue, ses écueils, ses moments de grâce ou de doutes. Une préface d’Hervé Le Tellier ouvre l’ouvrage et des portraits de l’équipe de la maison d’édition le ferme.

« Photographier Jean-Luc Mélenchon est un sacerdoce. Un combat même. » Le portrait du leader de La France Insoumise le montre en plan large, la main dans le gilet dans une attitude presque napoléonienne. Détail entre ironie et fragilité : le fond neutre apparaît, scotché à même le mur, symbole de la dichotomie d’un tribun qui n’aime pas les appareils photographiques, mais ne peut leur échapper, symbole aussi des conditions parfois rocambolesques dans lesquelles le photojournaliste exerce. Quelques lignes plus loin, JLM prend le temps de converser avec Corentin. Étrange réaction de celui qui déteste être pris en photo et qui expédie chacune des séances en râlant.
« Je suis à tout à vous, vous pouvez faire de moi ce que vous voulez… » Ainsi s’exprime Nicolas Le Nen écrivain, ancien de la DGSE. Le portrait est à l’avenant : fragile, délicat, un moment suspendu.
C’est aussi Françoise Huguier, son mauvais caractère, qui finalement se laisse amadouer. Dany Boon amoureux d’un extincteur, Charline Vanhoenecker poing dressé par un bras d’honneur… Et tant d’autres qui se dévoilent, tantôt avec une facilité déconcertante, parfois très difficilement.

Les mots de Corentin Fohlen ont ceci de fascinant qu’en plus de lever un coin du voile sur ces moments photographiques, ils permettent de mesurer le chemin qu’il y a entre le début de la séance et le rendu final. Chemin tortueux parfois, complexe, où les enjeux sont doubles : pour le photographe celui de « réussir » son portrait tel qu’il l’entend, d’avoir quelque chose à donner au commanditaire. Pour le portraituré celui de n’offrir d’elle ou de lui qu’une image fidèle — pour tout dire un peu artificielle — à celle que les médias véhiculent et que le public attend.
L’intersection entre ces aspirations opposées n’est décidément pas une sinécure, d’autant plus que Corentin Fohlen oriente son travail vers quelque chose de subversif et d’irrévérencieux. Issu d’une formation académique en dessin, il reproduit les codes du portrait de genre. Mais dans le même temps, par un décalage scénique, il cherche à fissurer cette carapace publique, cette norme, pour révéler autre chose.
Il y parvient de fort belle manière. Les personnalités perdent très souvent cette réserve — l’armure du paraître — devant la faconde du photographe, son humour et sa capacité à improviser en fonction des possibilités du lieu. Échafaudages, extincteur, miroir, vitre dépolie tout devient un élément de l’histoire.
Ainsi, le décor, le personnage public s’imbriquent, comme dans cet étrange portrait de Marine Le Pen où elle se retrouve littéralement entre deux portes. Chacun y verra ce qu’il a envie d’y voir nous explique Corentin Fohlen qui ne met, par contre, jamais en avant ses idées politiques.

À une époque où le portrait est devenu partie prenante de nos existences, mais où, paradoxalement, il est devenu difficile pour les photographes de presse de vivre de leurs clichés, le choix opéré par l’auteur de construire un récit à la croisée du chemin entre classicisme et modernité apporte un vent de fraîcheur. Tant de portraits ornent les pages de tant de journaux qui n’ouvrent guère les portes de l’âme de ceux qui posent. On reste dans des registres convenus, attendus et un peu ennuyeux. L’ouvrage bouscule ceci, offrant une forme particulière d’introspection. Elles ne sont pas si différentes de nous ces stars. Pas toujours à l’aise avec l’image et la représentation de leur corps, elles craignent certainement plus ce que la photographie leur montre d’elles-mêmes que ce qu’elle révélera au grand public. Pourtant, elles sont touchantes et deviennent parfois terriblement humaines. C’est là la vraie réussite du livre de Corentin Fohlen cette faculté de créer du lien et dépoitrailler les âmes.
En tous cas, Regardez ici pour voir se consomme sans modération, et en ces périodes de fêtes, il aura toute sa place sous un sapin !
29€