
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
Après Judée, paru en 2023 aux éditions La Table Ronde, Didier Ben Loulou y publie un nouvel ouvrage, Seaside qui, à travers des clichés réalisés sur la côte israélienne de la Méditerranée orientale, nous offre une déambulation existentialiste.
De la frontière du sud Liban à la bande de Gaza, il traverse ces rivages, qui virent grandir et décliner tant de puissances, périr tant d’Hommes. Le temps ici n’a pas de prises, les heures s’écoulent, lentes et incertaines. C’est un monde d’avant le monde, d’avant la guerre, d’avant les agitations vaines.
Sous un ciel fuligineux, la mer bat les rives de ses vagues morcelées. Quelques fleurs jaunes parsèment les collines, des vestiges hantent le décor.
Il n’y a pas un bruit, à peine le souffle du vent.
Le soleil ombre les peaux, des pastèques coule un jus sanglant, la Méditerranée agite sa houle sèche.
Ici, il n’y a plus d’Hommes, mais des fantômes, des corps qui habitent les lieux, les dieux qui se chamaillent. Puis, ce sont des ruines, le passé qui s’émiette sous les assauts du temps. On oublie les empires, les faits d’armes, les conquêtes, restent des navires décatis, la mer, du sable.
Seaside avec ses photographies au format carré, en tirage Fresson, poursuit l’œuvre de Didier Ben Loulou. Depuis toutes ces années qu’il parcourt les rives méditerranéennes, il en connaît chaque recoin, chaque lumière, chaque fragilité.
Pourtant, sur ces bordures d’Israël, il surprend une nouvelle fois son lectorat. Chaque image de l’ouvrage donne la sensation que le temps semble ne pas avoir de poids et que l’agitation humaine n’a pas vraiment d’importance. L’eau se moque bien de nos misérables orgueils, les rois et les reines grandissent puis disparaissent, les colonnades s’effondrent et il n’y a plus que des palais sableux, du vent, les vagues et le vol lent des rapaces.
Page après page, les photographies nous transportent dans un espace au-delà du quotidien, de l’actualité et de ses drames, de la violence, de la barbarie. Ici, rien n’est quiet, pourtant tout est quiétude.
On vit et on meurt, on s’aime sur la plage, au printemps les fleurs s’étalent sous les nuées grises.
Il ne se passe rien, mais tout est là.
Juste là.
C’est la force immense qui se dégage de cet ouvrage, cette capacité à nous extraire du flux continue des réseaux, des informations sanglantes. Pas-à-pas, suivant ceux de l’auteur, nous marchons là où tant d’autres ont marché avant nous, où tant d’entre eux ont simplement vécu.
Il faut prendre ce recul, cette distance avec le réel pour s’en inventer un autre au sein duquel l’hystérie humaine, sa folie n’ont plus vraiment de place.
Les côtes sont du domaine des puissances divines et nous sommes minuscules et futiles face à une puissance qui nous dépasse complétement. Nous passons outre, mus par l’orgueil qui voudrait nous faire croire que nous sommes importants.
Les ruines d’une muraille, les peintures écaillées, les tissus qui jonchent le sol nous rappellent sans cesse la vanité de nos prétentions. Pessoa a écrit : « Chacun de nous a sa vanité, et cette vanité consiste à oublier que les autres ont une âme semblable à la nôtre. » et les photographies de Didier Ben Loulou mettent peut-être fin à cette situation.
Sur ces plages, il y a les autres, nos semblables, la lenteur du temps, l’eau, le ciel tourmenté, tout ce qui n’est pas nous, que nous oublions trop souvent.
Prendre du recul, prendre un instant, serrer la main de celui que nous croisons, contempler. Vivre ?
« J’étais ce que tu es, tu seras ce que je suis », dit le crâne narquois. Bientôt, nous redeviendrons cendres et poussières, mais il restera encore et encore la mer, les ondées, les vagues.
Seaside devient dès lors un manuel contemplatif, un livre de médiation sur la grandeur de l’univers, sur la fatuité des Hommes.
Il nous faut plonger au cœur de ses images, abandonner nos arrogances, et, en toute simplicité, marcher dans le demi-jour d’une fin d’hiver.
Le temps n’existe pas, nos vies non plus.
La paix de l’âme est à ce prix.
Site des éditions La Table Ronde
28€