Sur les traces du Furan – Danièle Meaux/Pierre Suchet

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©Pierre Suchet

Sur les traces du Furan, une enquête photographique, paru aux Éditions Filigranes met en lumière cette rivière ligérienne de sa source au Bessat à sa confluence avec la Loire à Andrézieux-Bouthéon. L’ouvrage co-réalisé par Danièle Meaux, spécialiste de la photographie contemporaine et professeur en esthétique et sciences de l’art à l’université de Saint-Étienne, et Pierre Suchet, photographe, met en regard le cours d’eau, et aussi les relations que les populations entretiennent à celui-ci. Fait singulier et symptomatique : lorsque le Furan traverse la ville de Saint-Étienne, il est quasiment invisible puisque recouvert.

D’autres intervenants apportent des éclairages architecturaux, historiques, scientifiques, donnant à l’ensemble matière à une réflexion complexe et hybride sur notre relation à l’eau, ainsi qu’aux espaces naturels, au Vivant.

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« Les hommes partagent avec les cours d’eau une inscription dans une temporalité dotée de rythme. » écrit Danièle Meaux et « Cette temporalité fuyante […] se présente comme une condition que les humaines partagent avec l’eau courante […] »

C’est la relation, essentielle, de l’un à l’autre, aux tempos bien différents que l’ouvrage met en exergue.

En premier, après un texte remarquable de Danièle Meaux, viennent les photographies de Pierre Suchet. Utilisant une chambre, par essence lourde et peu maniable et à la temporalité longue, il a suivi l’intégralité du parcours de la rivière de sa source à son embouchure, prenant des photographies à des endroits clé, et révélant ainsi la richesse et la diversité des espaces traversés, mais aussi, et peut-être surtout, l’omniprésence de l’humain.

Des espaces ruraux, forestiers, contreforts montagneux, puis ce sont des vues urbaines, un carrefour, des immeubles et la présence devenue invisible de l’eau qu’il faut débusquer dans quelques recoins où on la laisse un peu plus libre. Parfois, sur un ouvrage d’art, un panneau siglé de trois ondulations, indiquant Le Furan ou l’eau coulant entre deux murets de bétons.

Des bois, des maisons, des usines, la rivière presque étrangère à ces scènes où nous l’avons contrainte, canalisée, rectifiée pour qu’elle réponde à nos besoins, nos usages et ne puisse plus mener son existence sauvage, autrefois dramatique en raison de ses crues.

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©Pierre Suchet

La dichotomie que révèlent les photographies de Pierre Suchet est troublante : l’eau est là, partout, l’Homme aussi et la cohabitation initiale n’étant pas possible puisque les attentes des seconds sont inconciliables avec le rythme de la première, il a fallu que ce dernier asservisse le cours d’eau. Chaque image devient dès lors un témoignage de cette étrange union, la beauté singulière des photographies noir et blanc amenant le lecteur à se questionner sur ce qui se joue ici.

Les travaux scientifiques qui accompagnent ceux de Danièle Meaux et Pierre Suchet éclairent d’autres aspects : historique, architectural ou journalistique. Le Furan fait écrire, parce qu’il est symptomatique d’une situation. Initialement, il fût délaissé dans sa dimension écologique, devenant rapidement un égout à ciel ouvert que diverses industries polluent régulièrement, puis, par la volonté humaine de résoudre les « problèmes » que créée la Nature, on le recouvrit par endroit, à tel point que certains Stéphanois ne savent même pas son existence ! Depuis les années 70 des actions d’envergure ont été menées par les collectivités pour assainir l’eau qui est celle que consomme la ville de Saint-Étienne.

Bref, la rivière est une sorte de problème que nous devons résoudre et très rarement un partenaire avec lequel nous devons vivre.

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©Pierre Suchet

En ça, les images de Pierre Suchet sont particulièrement éclairantes : dans bien des cas, au-delà du recouvrement urbain, le Furan n’apparaît qu’en pointillés, de façon sporadique, au sein d’un décor essentiellement humanisé. Ponts, bâches, taillis maîtrisés, routes, la main de l’homme est omniprésente, bien loin de toute dimension « naturelle ». Les photographies proposées à la fin de l’ouvrage par Jonathan Tichit sont assez symptomatiques : révélant à travers la transparence de l’eau des déchets-artefacts divers et variés, elles montrent aussi que nous sommes partout, tout le temps ; ça très rarement pour le meilleur.

Cette marche, entreprise par Pierre Suchet, qui pourrait aussi faire penser à Histoire d’un ruisseau du géographe anarchiste Élisée Reclus, questionne tout de même fortement.

Quelles sont nos relations aux espaces naturels ? Qu’est-ce que la Nature ou le Vivant dans une perspective humano-centrée ?

A vrai dire pas grand-chose, malheureusement. L’hubris de l’Homme le pousse sans cesse à envahir des espaces, à les coloniser, les contraindre. Vraisemblablement, parce que nos temps ne sont pas les mêmes : une vie humaine s’étire sur moins d’un siècle quand il faut des millénaires à un ruisseau pour creuser une vallée. C’est oublier que nous dépendons de cette Nature.

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©Pierre Suchet

Au-delà de l’eau dont nous avons besoin pour nos activités, il y a tout un biotope, un équilibre dont nous sommes partie prenante.

Bien évidemment, il n’est pas question ici de critiquer pour critiquer, plutôt d’initier une réflexion sur l’intersection entre humanité et Nature qui par sa récurrence et ses enjeux lourds pourrait, devrait, être pensée autrement.

Sur les traces du Furan, une enquête photographique, ne doit surtout pas être limité à la beauté des images qui le composent. C’est avant tout un travail d’une très grande qualité scientifique, photographique et morale qui nous interpelle : parce que c’est ici le Furan, mais ce pourrait être bon nombre de cours d’eau français qui subissent exactement le même sort et sur lesquels nous fermons trop souvent les yeux, oubliant ce qu’ils ont d’essentiel à notre survie.

Site de Pierre Suchet

A propos de Danièle Meaux

Site des Éditions Filigranes

35€

Format 290 x 235

Français

Relié couverture cartonnée

155 photographies en couleurs et noir et blanc

248 pages

ISBN : 978-2-35046-628-6

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Frédéric MARTIN
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