Les objets de mon père – Valérie Gondran
Paru aux éditions d’une rive à l’autre (dont le parti-pris éditorial est de mêler photographier et science), le nouveau livre de Valérie Gondran, Les objets de mon père, est accompagné d’un texte de l’anthropologue Véronique Dassié. Il propose un regard sur ces objets que nous avons tous, dormant dans des tiroirs, des armoires, des boîtes, dont ne nous savons nous départir. Ici, la photographe collecte minutieusement ceux qui ont appartenu à son père, tandis que la scientifique apporte un éclairage sur les différentes valeurs de ceux-ci.
C’est une paire de vieux gants en cuir qui sont dans le coffre de sa voiture.
C’est une paire de jumelle posées sur le bord de la fenêtre de son bureau.
C’est une boîte en plastique, celle où l’on stockait les pellicules, avec inscrit « autoroute deux francs vingt, stockée dans la portière.
Ce sont des lettres, des photographies, des crochets de plastique, une corde et tant d’autres choses.
Il y a quelque chose d’un inventaire à la Prévert dans cette liste d’images, dans les petits textes aux airs de haïkus qui les accompagnent.
Et c’est peut-être ça qui résume le mieux deux choses : ce qu’on conserve est la trace d une vie, celle d’un proche parfois disparu, mais c’est aussi l’attachement que nous portons à celui-ci au travers des objets dont on en hérite. « Bien que la conservation d’objets souvenirs soit largement répandue, la valeur affective des choses n’est jamais immédiatement visible. […] Il faut des événements déclencheurs pour la ressentir. ». écrit Véroniuqe Dassié. Phrases qui font écho à ce qu’écrit Valérie Gondran : « Quels sont les objets que l’on conserve d’un parent, et pourquoi ? ».
C’est tout le sens de ce travail à quatre mains et tout le questionnement qu’il éveille chez le lecteur. Ces photographies nous aurions pu les faire. Pas tant d’un point de vue technique, mais plutôt parce qu’elles mettent en scène des choses (on pourrait même aller jusqu’au mot relique tant certaines sont chargées de mémoire) que nous connaissons tous. Un couteau de cuisine que la main d’un aïeul a tenu, un thermomètre où il a lu des températures et même un revolver ! Ces vestiges d’avant ont été produit en masse et nos propres ancêtres ont pu avoir les mêmes. Pourtant, ils sont singuliers ! Ils sont uniques ! C’est le couteau de mon père, son thermomètre… pas ceux d’un autre. Il y a quelque chose de troublant dans cette mise en abyme de l’objet, une forme de disparition de la frontière entre notre intime et celui de la photographe.
Mais ce n’est pas tout. Quand Véronique Dassié écrit : « Futiles et modestes, les objets d’affection portent en eux des clefs de compréhension d’un temps qui passe. », elle met en avant ce temps long dont nous sommes les héritiers et héritières et dont, peut-être, nous souhaitons faire hériter notre descendance. “Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?” écrivait Lamartine. Et la question se pose en effet de la mémoire que transmet l’objet. Ce couteau n’est qu’un couteau pourtant il est bien plus que ça dans l’imaginaire du livre Les objets de mon père, au point qu’il est préférable de ne le laver qu’à la main afin d’éviter une usure trop rapide et peut-être, de facto, la disparition de cette mémoire.
Au final, cet ouvrage ouvre bien des pistes de réflexion. D’abord par le texte de Véronique Dassié qui nous livre plusieurs axes de compréhension de notre relation à ce que nous possédons et conservons. Ensuite, parce que Valérie Gondran nous pousse à revoir ce qui nous entoure, à revisiter ces boîtes stockées à la cave ou au grenier. Que reste-t-il de ceux que nous avons perdu en chemin ? Quelles traces ?
Des questions auxquelles il n’y a pas vraiment de réponses ou des milliers de réponses… Pour l’heure il est plutôt temps de se plonger dans cette archéologie personnelle et de ressortir un moment les objets de nos pairs.
Valérie Gondran sur les réseaux
Le site des éditions d’une rive à l’autre
28€
- Format 14 × 19,5 cm
- 84 pages
- 19 photographies
- Novembre 2023
- 9782956940975
Bonjour Frédéric,
Merci pour cette superbe chronique. Et quelle dernière phrase !
Amitiés,
Olivier
olivier bourgoin agencerévélateur / Éditions d’une rive à l’autre +33 (0)6 63 77 93 68
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