Erna Helena Ania – Tomasz Laczny

Tomas Laczny Erna Helena Ania Blow Up Press

Quelle est la valeur du souvenir ? Qu’est-ce que le passé nous laisse quand le Temps s’est déroulé, quand les images s’effacent peu à peu ?

Et surtout que sait-on de nos aïeuls et que nous apprennent ils de nous ?

Ces questions ne sont qu’une mince partie de celles qui viennent à l’esprit du lecteur qui parcourt Erna Helena Ania par Tomasz Laczny, paru chez Blow Up Press (Aneta Kowalczyk et Grzegorz Kosmala), tant ce beau livre offre de pistes, de détours mémoriels.

 

Tomas Laczny Erna Helena Ania Blow Up Press
©Tomasz Laczny

 

Tomasz a 7 ans et vit en Pologne. Un homme, avec une prothèse métallique, vient voir sa grand-mère. Les deux parlent allemand.

Choc.

L’enfant comprend, apprend, alors, qu’elle est allemande.

Par ces biais si soudain, ces heurts, l’histoire, la petite, celle des personnes et des lieux, heurte l’Histoire, la grande, celle des guerres et des malheurs.

Erna Helena Ania fut allemande, dans une Pologne anéantie par la terreur nazie. Elle y vécu l’amour avec un polonais, donna naissance à une fille dans des conditions épouvantables. Choisit de rester pour garder sa fille alors que la vindicte populaire chassait ceux et celles de sa nationalité.

Tomasz devenu homme part à la recherche des traces de son ancêtre.

 

Tomas Laczny Erna Helena Ania Blow Up Press
©Tomasz Laczny

 

Nous n’allons pas dévoiler ce que fût la vie de la jeune femme, mère célibataire honnie dans un pays qui n’est pas le sien.
Mais le livre conçu par Aneta Kowalcczyk est un chef d’œuvre de détails, de pistes incertaines.
 Tomasz Laczny a inséré au milieu des scènes de famille, batailles de boules de neige, polaroid délavé au visage fantomatique, d’étonnants éléments de la vie de Erna Helena.
Ici le fac-similé d’une carte postale d’anniversaire en allemand, là un certificat de naissance, ou encore la lettre d’un avocat certifiant que Erna Helena est bien la mère de la mère de Tomasz.
Ces petits cailloux donnent une force inouïe au livre en cela que cette femme devient réelle, concrète. Au-delà des images, il y a les objets, les fragments.
Et peu à peu, en filigrane, apparaît aussi une autre histoire : celle de Tomasz.
Tomas Laczny Erna Helena Ania Blow Up Press
©Tomasz Laczny

Le livre ouvre sur des dessins, presque un roman graphique, d’une femme accouchant dans un endroit indistinct, forêt ou baraquement.

Il se termine par le même dessin où deux personnes (Tomasz et sa mère) se rendent dans ce lieu.
Le temps est circulaire.
Au cœur du livre, d’autres images, des gros plans brouillés, fuyants, de corps enlacés, de fleurs explosives inscrivent en superposition une vie qu’on imagine être celle de Tomasz.
Il a lui aussi ses amours, ses joies et ses peines. Ses voyages. Ses détours.
Le temps est circulaire.
Par-delà les années, l’humain immuablement continue sa quête du bonheur, perdu parfois dans les affres de la souffrance.
Les ponts relient, l’Homme se tient au centre.
Le temps est circulaire.
Tomas Laczny Erna Helena Ania Blow Up Press
©Tomasz Laczny

 

Erna Helena Arnia est un ouvrage exceptionnellement fort.
Par sa conception, d’abord. Les papiers sont splendides du bleu nuit de la couverture au noir profond de la partie graphique en passant par le blanc à peine cassé.
Ensuite, le choix de proposer au lecteur ce jeu de piste des « objets » provoque une prise de conscience majeure : nos traces ne sont que quelques morceaux de papier, bien souvent administratifs et finalement nos existences, notre Être ne tient pas à grand-chose.
Un mouvement brusque de l’Histoire.
Un repli de la mémoire.
Un battement un peu plus rapide du cœur.
Tomas Laczny Erna Helena Ania Blow Up Press
©Tomasz Laczny

 

Nous aussi nous sommes à la merci d’une guerre, d’une pandémie, de la fin brutale d’un rêve.

Mais nous aussi nous pouvons aimer, vivre, espérer.
Et lutter pour ça.
Tomasz Laczny parcourt les failles de l’intime, cet espace où se croise qui nous sommes, qui furent ce qui nous ont fait.
Il enquête de la plus belle manière qui soit : avec sincérité et amour.
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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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