Tentation de disparition – Jean-Michel Leligny

 

On associe la photographie à la vue, comme une évidence.
Mais à la lecture de Tentation de Disparition de Jean-Michel Leligny, paru aux Editions de Juillet, il se pourrait que les images soient aussi silencieuses.
Non qu’elles n’évoquent rien.
Simplement page après page le silence s’impose. Peu à  peu ; comme une évidence. Une nécessité.
Chronique de livre Leligny tentation de disparition
©Jean-Michel Leligny
Jean-Michel Leligny a choisi de traverser seul les Pyrénées à pieds, d’est en ouest. D’une mer à un océan, il a marché avec un appareil photo, mû par cette phrase de Maître Dôgen (le fondateur de l’école bouddhiste zen sôtô):  » Une fois entré dans les montagnes personne ne rencontre plus personne. Ce n’est là que l’activité totale des montagnes. »
Il est donc parti sans but précis. Marcher, photographier peut-être les autres marcheurs. Inconsciemment,  revenir à l’origine, au silence primordial, celui où tout et rien se mêlent au point de se confondre. Celui où Soi n’est plus une réalité, mais une simple possibilité.
Et c’est ainsi que les silences naissent au gré des images.
Chronique de livre Leligny tentation de disparition
©Jean-Michel Leligny
Il y a d’abord ceux des montagnes. Rocs, herbes rares, nuages de brumes. Seul le fracas d’un torrent amène, brièvement, un peu de bruit. Mais au fur à mesure des pages il ne reste que le craquement des pas du marcheur sur les pierres, le vent et peut-être le cri très haut d’un rapace.
Puis il y a le silence de ce père que la surdité gagne et dont le visage est si semblable à celui de l’auteur.
Enfin il y a le silence de celles parties bien trop tôt ; le silence de leurs absences.
Chronique de livre Leligny tentation de disparition
©Jean-Michel Leligny
Maître Dôgen a aussi enseigné que « s’étudier soi-même, c’est s’oublier soi-même ».
Ces quarante jours de randonnée livrent au-delà de la vastitude des clichés, de l’infini des rochers, de l’immatérialité des névés, une quête plus profonde sur les origines, sur Soi.

A travers les mots de Jean-Michel Leligny, ou plutôt en filigrane de ce qui est dit, vient le silence de l’auteur. Toutes ces souffrances tues, tous ces mots que la montagne fait s’évanouir avant même que d’être prononcés parce que dire l’indicible est vain. Parce que la montagne incite juste au mystère.

La randonnée de haute montagne est un exercice d’oubli: oubli des remords, des regrets, oublis des émotions trop lourdes, oubli du monde trop bruyant des humains.
Oubli de Soi.
Comme une longue médiation. Kinhin1 d’une rive à l’autre.
Tentation de disparition est un livre de quête, un livre d’espoir, un livre d’abandon.
Et une fois cela achevé l’Homme, enfin, est la montagne. La montagne est l’Homme.
Il n’y a plus de fin ou de début.
Il n’y a rien d’autre que ce qui est.
Enfin.
1 : kinhin est une des pratiques méditatives de l’école zen sôtô, elle consiste à marcher en pleine conscience, en étant dans l’instant.
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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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