Occasions – André Mérian

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La maison d’édition La Fabrique du Signe, dirigée par Evelyne Coillot, œuvre à proposer des livres objets éco-compatibles, responsables, tout en valorisant les auteurs et autrices qu’elle rémunère en droits d’auteur.
Fort de ce parti-pris le livre Occasions, regroupant des photographies d’André Mérian et un texte de Brice Matthieussent, se présente d’abord comme un objet délicat, pensé pour procurer un plaisir visuel et tactile. Cahiers cousus, papier Munken Cristall, la présentation est particulièrement soignée et incite les lecteurs à découvrir le contenu.

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Un bloc minéral barré de deux traits l’un bleu, l’autre rouge, un carton vide ayant contenu des bouteilles de vodka, un parallélépipède rectangle avec le mot occasion sur fond rouge, un mur de Lego, des vieux postes de radio de type ghettoblaster, d’autres blocs de pierre. L’ensemble est hétéroclite, photographié sur fond blanc neutre. Rien ne distingue un objet plus qu’un autre, ils sont là, tout simplement et comme le note Brice Matthieussent : « Nous devons renoncer à cherche un ordre dans la succession de ces images pourtant rigoureusement composées. »
Car, en effet, d’ordre il n’y a pas, pas plus que de logique apparente. Le photographe collecte des artefacts dans les containers à déchets marseillais et les photographie de manière singulière leur ôtant toute fonction apparente. On se rapproche d’une certaine manière du ready-made de Duchamp, même si l’aspect sériel pourrait rappeler, lui, les œuvres de photographes comme les Becher.

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Toutefois, le propos d’André Mérian s’éloigne de ces prédécesseurs. Les occasions ici, deviennent des propositions. De quelles occasions s’agit-il d’abord ?
Celle de la collecte ?
Celle de la photographie ?
Celle de la proposition ?
Un peu toutes, mais avant tout l’occasion, semble-t-il, de redonner une existence à ces objets qui n’en ont plus. Qui n’en ont plus et non qui n’en ont pas, la nuance est de taille. Un ballon de basket à peine usé, un pare-chocs, des morceaux de plastique… Tous ont eu une vie auparavant, une utilité et parfois même une nécessité. Or, les jeter, c’est faire disparaître la relation entre ceux et celles qui les possédaient et l’objet en soi.


Notre monde se remplit de choses, de trucs, de machins, plus ou moins utiles, au point que nos intérieurs sont vite envahis. On sait qu’un homme du Moyen-âge possédait environ 200 objets tout au long de son existence et que le moindre occidental du XXIème siècle en a plusieurs milliers ; pourtant combien sont vraiment importants, irremplaçables à nos yeux ? Combien nous servent réellement ?
Très peu en vérité.

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Partant de là, il devient assez aisé de les jeter sans le moindre regard, sans la moindre pensée en ne leur accordant qu’une valeur très relative.


Or, les photographier ainsi, loin de tout contexte d’usage, loin de la moindre utilité pratique ou théorique, c’est d’une certaine manière redonner une vie à ce qui par nature n’en a pas vraiment.
Surtout, c’est mettre en évidence le lien qui nous rattache à eux.
À lire les images d’Occasions, nous prenons conscience que ce carton vide ressemble tant à ceux qui nous servent à déménager, à entreposer d’autres objets dans nos caves et greniers. Un ballon de basket, c’est aussi la mémoire des heures plus ou moins heureuses d’EPS et de paniers ratés.
Nous vivons avec. Ils sont là, parfois contre notre gré, mais toujours présents. Nous ne les voyons pas.


Finalement, l’œuvre porte un travail singulier de mémoire. En isolant ces bibelots, il nous invite à les voir plutôt que simplement les regarder.
Il nous invite, aussi, à nous questionner sur notre rapport au monde, à la consommation.
C’est un lieu commun de dire que nous consommons beaucoup, trop, épuisant à une vitesse vertigineuse les ressources de la planète. Toutefois, bien que ce soit répété à l’envie par les médias, il semble que la conscience de la situation ne soit pas si évidente. Pour preuve les supermarchés débordants en ces périodes de fête.


Il ne s’agit pas, pour l’auteur, de dénoncer ça par un propos virulent et pamphlétaire, mais plutôt de mettre en évidence un état de fait.
Il y a dans les poubelles des objets que nous avons jetés, qui auraient ou ont pu servir, et notre modèle social et économique dépend en grande partie d’eux.
Évidence peut-être, mais qu’il est toujours bon de rappeler. La manière employée dans cet ouvrage est différente, nettement moins culpabilisante et cependant très forte.

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Et, quelque part, ces objets sont nous, leur finitude est aussi la nôtre. Qui se souviendra de nous dans cent ans ? Pas plus de gens que ceux qui se rappelleront de cette cage à oiseaux au message énigmatique. Autant, donc, ne pas perdre de vue que tout passe, nous avec et les objets exhumés par André Mérian deviennent autant de vanités nous rappelant notre obsolescence.


Occasions tient à la fois du livre d’art et de la didactique. Il enseigne ce qui est, l’impermanence habitant notre monde, tout en magnifiant ces rebuts à travers des natures mortes singulières.
Pensons donc à le consulter régulièrement !

Site d’André Mérian

Site des éditions La Fabrique du Signe

29€

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Frédéric MARTIN
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