

5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques

Chroniques littéraires & photographiques

Paru dans la Collection Fléchette aux éditions Sun/Sun, Femme capitale ouvre, comme tous les ouvrages de cette collection, sur une photographie extraite de la collection Archives de la Planète du musée départemental Albert Kahn. Ensuite vient un essai de Muriel Pic relatif à celle-ci.
Une femme est enfermée dans une caisse dont seule sa tête et sa main gauche émergent. Elle est condamnée à mort pour adultère. L’autochrome est de Stéphane Passet, il a été réalisé à Oulan-Bator en Mongolie le 25 juillet 1913.
« Tu es femme et tu es un capital. »
Tu es femme…
Tu es donc condamnable et condamnée. Tu n’es pas une personne au sens moral du mot, mais un bien, un objet que les hommes peuvent épouser si ça leur chante, mais aussi violer, tuer, échanger. Tu n’as pour place que celle qu’ils te laissent : c’est-à-dire pas grand-chose, cantonnée que tu es dans les tâches ménagères, l’éducation des enfants, des rôles subalternes. D’ailleurs, ils te craignant, ils ont peur de trouver en toi une sirène, une sorcière, quelque chose qui mettra à mal leur virilité. Qui mettra fin à leur pouvoir et leur domination. C’est pourquoi ils te vilipendent, te torturent, t’assassinent. Tu es femme, par essence inférieure. On te condamne à mort pour adultère. Ton époux ne risque rien, peut-être une amende.
« Pendant que j’écris, une femme tweet #MeToo, une autre agonise sous les coups. » Muriel Pic en choisissant cette image terrible reprend le fil de cette lutte infinie des femmes. Il ne s’agit pas, ici, de dénoncer quelque chose de nouveau, de mettre à jour une situation particulière et unique. Au contraire, les mots de l’autrice poursuivent l’œuvre entamée bien des années avant par d’autres. Pourtant, il y a malheureusement encore et toujours matière à dénoncer.
Cette femme condamnée à la plus horrible des morts, cette victime enfermée dans cette boîte, livrée à elle-même au milieu d’un paysage de steppe déserte n’est qu’une parmi des millions.
Mais quel symbole ! L’ouvrage se fait écho de toutes les violences morales, physiques, spirituelles infligées à des personnes qui n’ont pour seul tort que de ne pas appartenir au groupe dominant.
Sauf que ce tort est si grand qu’il permet tout aux hommes. Tout. Reprenant les violences patriarcales, montrant qu’elles possèdent une forme d’universalité, Muriel Pic construit un récit pluriel et nécessaire. Il n’est pas besoin de milliers de pages, tout peut tenir ici, dans un texte court et puissant, dans une photographie à la violence inouïe.

Alors que certains politiques prétendent que la place des femmes est maintenant acquise, du moins dans notre société, qu’ils brandissent parité et égalité, le livre nous rappelle deux choses : cette place, qui n’en est pas encore vraiment une, s’est conquise de haute lutte et il ne tient à rien qu’elle ne soit remise en question.
Combien d’épouses, de petites amies sont tuées chaque année en France ? Quelles disparités salariales ? Les plus triviaux des gestes masculins, des sifflements aux mots obscènes ont-ils disparus ?
Il n’y a donc pas une avancée décisive, la fin d’une époque, d’une ère et cette Mongole encagée, livrée à un sort abominable est là pour nous le rappeler.
Femme capitale, au même titre que d’autres grands livres féministes doit être accessible au plus grand nombre, et surtout aux hommes. Sa lecture peut faire bouger les lignes, infléchir les pensées, soulever les questions.
Porteur d’espoir, il ouvre enfin la voie à une véritable et nécessaire égalité des unes et des autres.
18€