Après Mommy, Lisa Gervassi publie son second ouvrage, Ring Around the Rosie, toujours autoédité. Accompagnée par Lia Pradal pour le design graphique, ces pages sont un voyage autour de la maternité, d’un monde plein de soubresauts et de lumières.
Les images, prises à partir de 2020, révèlent cette période étrange où dans le même temps la photographe donnait naissance à sa fille et devait subir les multiples confinements, le début du conflit ukrainien, et autres instabilités. Tout cela témoigne de l’ambivalence entre le merveilleux d’accueillir un enfant dans la brutalité d’un monde vacillant.

Le soleil s’égoutte sur un pré et le nourrisson aux yeux clos rêve ses rêves infinis. Des mains, des peaux, des routes aussi, l’espace est circonscrit à quelques mètres autour de la maison. Nous ne pouvons aller plus loin. Pourtant, dehors, c’est le printemps, les jours se réchauffent, un bouc tend le cou vers les rayons. On s’enfonce dans un tunnel incertain… La vie, la mort sont nos proches parentes ; il faut accomplir son deuil et sentir le souffle pulsatile du bébé.
Lisa avance à l’aveugle.
Quelle folie de donner naissance dans cette époque fragmentée ! Pourtant, quelle joie immense.
Alentours, il y a des forêts opaques et le pelage dru des bêtes. Des nids de guêpes inhabités, la patience des mains, la petite grandissant, les pierres, des corps et les herbes couchées au sortir de l’hiver.
Il y a tout, juste là à portée de nos doigts. Il n’y a rien.
Le récit se fragmente, explore des dimensions invisibles. L’émerveillement, enfin, les plumes d’un rapace, et l’enfant qui prend son envol.

Ring Around the Rosie, au titre inspiré par une vieille comptine anglaise, a l’apparence d’un récit méditatif. Alors que ces années 2020, marquées par la crise sanitaire, les diverses guerres qui hantent notre planète, paraissent terribles, qu’elle place donner à un enfant ? Lisa Gervassi se questionne ainsi, par l’image, sur la responsabilité lui incombant. Les heures sont bien sombres, et les temps à venir n’invitent pas à la joie. On se bombarde, on se mutile, on se masque, on s’enferme. Pourtant, à l’extérieur, la Nature se moque bien de nos existences. La vie est là dans toute son évidence et dans sa complexité. Ce que traduisent les photographies de l’artiste, c’est ça, avant tout, cette évidence du Vivant dont nous ne sommes qu’une part. Loin de nos sentiments, parfois hystériques, de supériorité, les rochers restent des rochers, l’hiver prépare l’été, les heures ont le même rythme.
Or, une vie nouvelle émergeant n’est qu’une part du phénomène.
Ni plus importante.
Ni moins importante.
Tout est essentiel et absolu semblent nous dire les photographies. Chaque instant, chaque microfragment par sa fragilité est capital.

Il y a une forme de beauté naturelle dans ce récit. Beauté de ce qui nous entoure et dont nous n’avons peut-être pas conscience. La crise sanitaire, si elle fut un choc violent, a été toutefois l’occasion de s’arrêter sur ce qui est. Juste ce qui est.
Il faut lire entre les lignes, regarder le filigrane inscrivant cela.
Ainsi, les images de sols herbeux reviennent ; les roches, les branches, un œil, une main minuscule, toutes ces choses que nous n’avions pas l’habitude de regarder cependant primordiales.

Ring Around the Rosie est bien plus qu’un livre sur la maternité, sur le questionnement d’être mère.
C’est un voyage en Soi, un parcours intime, délicat dans la Vie. Lisa Gervassi ne se contente pas de prendre des photographies et de survoler ce qui l’entoure d’un œil distrait.
Bien au contraire, elle observe, attentive ; elle pense le Monde et le Monde la pense.
Il faudrait bien plus de livres de cette ampleur, d’ouvrages profondément humains. Peut-être alors que les Hommes réfléchiraient à ce qu’ils font, au pourquoi, ils le font et surtout à la nécessité de le faire ou non.

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