

5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques

Chroniques littéraires & photographiques

Jean-Claude Izzo, dans un court texte paru aux Edition Hoëbeke, a ces mots : « J’aime croire – car j’ai été élevé ainsi – que Marseille, ma ville, n’est pas une fin en soi. Mais seulement une porte ouverte. Sur le monde, sur les autres. Une porte qui resterait ouverte, toujours. »
Ces quelques phrases résonnent avec les images proposées par Damien Chamcirkan, un autre enfant de Marseille, au sein de son livre XIII paru aux éditions Révolues.
Né dans les quartiers nord, en 1986, il a choisi de parcourir la cité phocéenne entre 2009 et 2019, d’aller à sa rencontre, à celle de ses habitants, de ses mystères pour nous livrer non pas un énième catalogue de stéréotypes, mais un document authentique, forme de témoignage entre amour et désarroi pour cette ville qu’il a dans le cœur.

Une lézarde fissure une façade. On pense aux immeubles effondrés rue d’Aubagne, le scandale de ces logements mal entretenus. Mais, quelques pages plus loin, c’est un arc-en-ciel décorant un autre mur, puis des femmes qui pique niquent à côté d’immenses barres d’immeubles. Vite, vite, des mains échangent on ne sait quoi — clopes de contrebande, barrette de shit — sur un t-shirt le numéro 13 est fièrement exhibé.
C’est Marseille, le soleil et la Méditerranée, le port et les navires en partance.
C’est Marseille, des détritus accrochés aux barbelés, une tête d’espadon, le linge mis à sécher aux fenêtres. Ici, il ne s’agit pas simplement d’une ville, mais d’un territoire immense, de langues mélangées, de cultures partagées. « Ici on craint dégun. » Non, les Marseillais n’ont peur de personne, parce que justement ils connaissent et côtoient tout dans cette métropole : la misère et l’espoir, la violence et la joie, la rudesse et l’avenir.
C’est Marseille…

XIII est une déclaration d’amour et de rage. Il n’est pas si fréquent qu’un photographe prenne le temps de comprendre où il vit. C’est ce qu’a fait Damien Chamcirkan. En quittant ses quartiers, en se rendant dans cette cité qu’il semblait méconnaître, il embrasse tout ce qu’elle contient de bon et de mauvais, toute sa différence. Or, page après page, nous découvrons la véritable Marseille, qui n’est d’ailleurs pas si éloignée des images convenues : le foot, la pétanque, les trafics. Mais, paradoxe qui lui sied, elle en est aussi à mille lieux avec ses enfants rieurs ou endormis dans le métro. Il faut avoir lu attentivement l’ouvrage de Damien Chamcirkan — relire Izzo et son incroyable trilogie aussi — pour comprendre qu’ici le paraître et l’être son intimement mêlés. On est Marseillais comme on est français, et bien plus qu’une ville, elle est une patrie défendue avec fierté malgré ses défauts, sa violence.
Parcourir un espace photographiquement, saisir ce qui le compose, son essence, ses habitants, ses failles, n’est pas si nouveau en photographie sauf qu’ici les images publiées s’éloignent justement du simple constat. Politiques, elles crient et chantent, dénoncent et déclament. Quoi ? Mais tout !

L’amour éprouvé par Damien Chamcirkan, la curiosité qui l’anime, la colère face à l’abandon des pouvoirs publics, l’émerveillement. Ici, il y a tout et c’est en ça que XIII est plus qu’un livre et devient un regard. Or, un livre de photographies ne doit-il pas justement porter ça ? Porter quelque chose qui va bousculer le lecteur, lui faire prendre conscience de réalités méconnues ?
Si et c’est la prouesse qu’accompli XIII.

Marseille n’est pas uniquement Marseille, et nous comprenons la difficulté qu’il y a à la résumer. Plus que la difficulté, d’ailleurs, l’inutilité de tenter de le faire.
Il faut plonger en son cœur, traverser ses rues, ses quartiers, s’intéresser aux habitants, à leurs vies, tenter de les comprendre. Les respecter. Voilà ce qui importe, ce respect, cette tendresse. A partir de là, un peu du voile se lèvera, juste un peu.
Ce qui reste à la fin, c’est qu’en prenant avec nous ce carnet de voyage offert par Damien Chamcirkan, nous oublierons nos préjugés, et nous saurons voir un peu mieux ce qui se joue ici : la magie complexe de Marseille. Et c’est bien là l’essentiel.
26€