Danser les pères – Gilles Ascaso

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Gilles Ascaso avec son nouveau récit, Danser les pères, paru aux éditions Versions Courtes, signe un ouvrage singulier autour de la mort, de la mémoire et de l’héritage paternel.

Sylvain accompagne son compagnon Bruno aux funérailles de son père Bernard. Lors des quelques jours qu’ils passent ensemble durant la veillée précédant l’inhumation, les membres de la famille se succèdent, se soutiennent, se consolent. Cette danse, pareille au tableau de Matisse, est un moment particulier où l’amour tente de protéger de la douleur, ou le soutien est plus qu’un mot.
Sylvain, lui, se rappelle son propre père. Le tableau qu’il brosse est bien loin de celui presqu’idyllique, représenté par Bernard. Là où le second semblait n’être que bonté, courage, le premier se conduisait en brute tyrannique, explosant en des colères dangereuses, frappant aussi bien chien, épouse, qu’enfants.
Un père inapte à la tendresse, à l’amour.
La dichotomie entre les deux, les silences qui s’étirent, les repas pris avec une famille qui n’est pas la sienne, mais qui l’accueille en toute simplicité, sont autant d’occasions pour Sylvain de mesurer l’écart, le gouffre entre les deux figures.
Parfois, un autre père émerge, capable de réciter du Rimbaud ou d’humour, dont le narrateur se demande pourquoi il s’est reclus dans cette haine.
« c’est toute une imagerie du monstre que j’édifie là, je le sais, en même temps que je dresse des murs, brique à brique, mot à mot, j’érige autour de lui des murs de citadelle. citadelle où l’enfermer, casemate où le soustraire, dédale où l’oublier. Bloc après bloc emmurer le monstre. »

Ce court texte porte en lui bien des questionnements, mais aussi un regard plein d’acuité sur la mémoire qui nous lie à nos ancêtres. Ces deux figures dissemblables représentent les faces d’un même espace que nous nommons la mémoire. De, celle-ci, aussi bien trompeuse que véridique, l’auteur tire une novela tantôt délicate et fragile, tantôt directe et pleine de force. Entre le père gentil, aimant, que tout à chacun glorifie et celui plein de rage, incapable d’humanité, il ne semble pas y avoir de doute possible. Or, et c’est une des immenses qualités de ce texte, la réalité n’est finalement pas si manichéenne que ça.
En instaurant un rythme volontairement lent, basculant tantôt de la légèreté singulière à la pesanteur douloureuse, Gilles Ascaso invite son lecteur dans une temporalité hors du temps.
Les heures sont lourdes, passées entre un mort, des repas, des arrêts à la machine à café et ces souvenirs qui surgissent comme des bulles noirâtres et nauséabondes. Puis, la joie jaillit par un mot, un sourire, la lumière se tient là, au cœur de l’ombre.
Nous nous prenons au jeu, passant d’un territoire mental à un autre, prenant fait et cause pour Bernard, ce père admirable, alors même que nous ne le connaissons pas.
La singularité du livre tient aussi, parce que nous finissons par sonder nos propres mémoires, les souvenirs qui nous restent.
Que reste-t-il de nos enfances ? De ces jours d’avant et de celles et ceux qui les habitaient ? Quelle distance avons-nous avec cela ? Et surtout, sommes-nous capables de vérité ?

Nos parents ont été ce qu’ils ont été, mais nous grandissons dans leurs ombres, dans l’héritage qu’ils nous laissent. Bon et mauvais. Il ne s’agit donc pas d’occulter l’un ou l’autre, ni d’idéaliser, plutôt de faire preuve, à l’instar de Sylvain, d’une sorte de courage lucide, où les questionnements sont nombreux, et les faits acceptés et distanciés.

Danser les pères nous renvoi à la nécessité de l’honnêteté. Nos racines plongent profondément, se ramifient, et forment un récit multiple, fragmenté. À nous de suivre tous les chemins proposés qu’ils soient joyeux ou douloureux. La paix, la vraie, est à ce prix.

Site des éditions Versions Courtes

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Frédéric MARTIN
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