

5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques

Chroniques littéraires & photographiques

Publié par les éditions Sur la Crête, La lune sourit le jour est le résultat d’une résidence accomplie par Géraldine Lay sur le territoire de la ville de Chartres-de-Bretagne, à l’initiative de la galerie Le Carré d’Art.
Il ne s’agit pas, ici, de documenter l’agglomération. Bien au contraire, la photographe s’en empare, ouvrant une brèche subtile et délicate par laquelle elle cherche à révéler ce qui s’y trouve de poésie, de beauté intrinsèque.
Éric Chauvier note dans son ouvrage Contre Télérama : « Chacune de ces « franchises individuelles » hébergent (…) des fictions insondables et jamais sondées. »
Les franchises, ce sont ces lotissements périurbains, habitats pavillonnaires dont on se moque régulièrement, explorés au gré de la résidence. Or, les images révèlent une dimension bien plus vaste, une grâce que nous ne nous attendions pas à trouver, invitant à ouvrir notre regard sur ces lieux à l’écart.

Il y a cette enfant aux vêtements roses, basket à scratch, puis une autre portant un joli gilet de laine jaune, son blouson comme une cape. Est-ce de la fierté qui les habite ? La joie de poser pour la photographe ?
Et eux, les adolescents ou adultes, dont parfois le visage n’apparaît pas, que ressentent-ils face à l’objectif ?
Quelque chose d’indéfinissable. Ils vivent ici, sans ostentation, sans exubérance, porteurs de leurs vies et leurs histoires. Ils ne sont pas seuls : page après page éclatent des couleurs pétulantes : rouge vif des volets, des buissons, d’un pull mis à sécher, vert acide d’un perroquet, vert tendre des pelouses, des arbres… La lumière est partout joyeuse et inventive. Les saisons défilent et s’écoulent.
C’est un territoire un peu secret, un peu muet, à découvrir et inventer.

Loin des clichés de genre, à mille lieux de la moquerie condescendante que dénonce Éric Chauvier, la proposition de Géraldine Lay s’oriente vers un regard empli de tendresse pour cette France périphérique, ou du moins à la périphérie des grands centres urbains. Nous connaissons tous ces bourgades de taille moyenne habitées parfois par l’ennui et une pesanteur épaisse. Nous nous arrêtons trop souvent à ça : le jardin, la balançoire, le pavillon sans grande recherche architecturale, les voitures stationnées dans la cour. Une sorte d’uniformité présente un peu partout en France. On parle dans les livres de périurbanisation, de migrations pendulaires et autres mots savants.
C’est oublier un peu vite, survoler, le fait que ces maisons abritent des humains avec des rêves, des espoirs, des difficultés… Ces gens, nos semblables, et leur vie qui nous sont inconnues et un peu inaccessibles. Géraldine Lay, elle, partant à leur rencontre, explorant ces marges des métropoles, pose un regard bien différent et surtout poétique sur ce quotidien.
Pour cela, il faut d’abord s’arrêter sur la lumière. Bien loin d’être terne, plate, elle bondit, tisse des décors nouveaux, souligne ce qui doit l’être, révélant ainsi une forme de beauté atypique et inédite. Personne, ou pas grand monde, ne s’arrête sur un brise-vue de façon générale. L’artiste si, qui lui confère une autre dimension, un éclat singulier. Il devient beau parce qu’inattendu, lumineux.
Puis, des éléments classiques et attendus : un buisson en fleur, des baies rouges sur un arbuste, et surtout les pavillons et leurs habitants. Mais là, encore, l’étonnement nous saisit. Peu à peu, le récit initial, cette déambulation à Chartres-de-Bretagne, change, se fragmente. On passe derrière ces murs silencieux et des récits se nouent, qui s’éloignent et se rejoignent. Il ne s’agit pas de dire ce que vivent les résidents, ni de montrer qui ils sont, mais plutôt, d’ouvrir les possibilités. Chacun, chacune est unique et porte en lui tout un monde dans ce micromonde.
Lequel ? Peu importe.
Nous pouvons l’inventer, le deviner, le créer…

La lune sourit le jour, à la gaieté teintée de mélancolie douce, nous invite à dessiner une foule d’histoires, presque des fables merveilleuses. La surprise agit par la polysémie des images, leur surgissement singulier, renforcée par la subtilité de la mise en page.
Mais plus encore que cette capacité à générer des contes, l’ouvrage possède une qualité primordiale. Il est humain. Plein de tendresse, d’une véritable curiosité pour l’Autre et son lieu de vie, il refuse toute critique, tout sarcasme. Il livre des fragments hétéroclites construits de simplicité et de douceur amicale.
Cette humanité rassérène. À une époque pas très heureuse, à des informations anxiogènes, il oppose la Vie. Que demander de plus ?
La lune sourit le jour est plus qu’un hommage sincère, c’est un livre de respect, de fraternité. Un livre altruiste et bienveillant.
Site des éditions Sur la Crête
30€