

5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques

Chroniques littéraires & photographiques

« Le sang ne se synthétise pas, ou pas encore. La chaîne transfusionnelle commence donc par un don ou, plus concrètement, un donneur : une étrange personne qui vient se faire piquer, perdre du temps et ne rien gagner. » Ces mots de l’anthropologue Yannick Jaffré offrent, à leur manière, un résumé sensible et touchant de ce qu’est le don du sang : un acte d’altérité désintéressé et courageux. C’est aussi le propos du livre Trois gouttes de sang comme une fleur, publié aux éditions le bec en l’air et qui comprend des photographies de Clément Chapillon et des textes de Yannick Jaffré. Le photographe a suivi le parcours de donneurs, de médecins, de receveurs avec un regard mêlant documentaire et poésie, tandis que l’auteur accompagne les images par des mots sensibles. Cette collaboration construit un récit délicat et mélodieux autour d’un sujet primordial.

Ils sont vous et moi : des inconnus anonymes, hommes, femmes, de différents milieux ou cultures. Pourtant, quand ils posent en toute simplicité face à l’objectif, il y a quelque chose de légèrement différent. Tous tiennent en leurs mains un fil rouge, lien ténu mais réel, figurant ce qui permet de les relier. Ils choisissent à quel moment déclencher l’appareil décidant ainsi, par l’autoportrait, de révéler ce qui peut les animer.
En regard des portraits, le photographe saisit des instants minuscules : trois coquelicots émergent du béton, deux dames se rendent vers un bâtiment blanc, la mer, aussi, baignée de soleil. Quelques pages plus loin des personnels en blouse bleue, un banc, la lumière. Puis, le sang, comme un nuage quand on le mélange à une solution, des clichés de plaquettes voilés de rouge. La chaîne du don dans l’ouvrage de Clément Chapillon et Yannick Jaffré est un continuum, un maillage de la générosité où la totalité des intervenants est essentielle.
Un Tout qui nous concerne tous.

Trois gouttes de sang comme une fleur en reliant les protagonistes par ce fil rouge, en mettant en lien les donneurs, le personnel médical ainsi que les receveurs définit le territoire de l’humanité solidaire ou comme écrit Yannick Jaffré :
« Mais celui qui reçoit sait toutes les dimensions du geste qui l’a secouru. » « Et sans doute est-ce cet irrémédiable (la disparition NDLR) que refusent obstinément ceux qui donnent leur sang, leurs plaquettes ou leur moelle. »
A ce croisement des existences, Clément Chapillon invite à contempler la multiplicité des destins. Une transfusion c’est vivre un peu plus. C’est par l’abnégation d’un anonyme au geste complétement désintéressé, continuer à contempler le ciel bleu, la mer, ses enfants et tant d’autres choses quotidiennes, familières et que nous considérions comme banales.
Là est peut-être notre erreur au sein de cette habituation routinière où nous ne voyons plus vraiment la beauté.
Or, les photographies – autoportraits, lieux, éléments d’intérieur – en témoignent : il n’y a rien de si évident dans la répétition des jours pour ceux en attente de moelle ou d’un organe.
La vie n’est pas un dû.

Le livre éclaire donc avec pertinence et délicatesse ce fragile équilibre. Il faut une synergie complexe, des énergies et des volontés multiples pour que le miracle puisse s’accomplir.
Nous croyons volontiers en la médecine, mais nous oublions parfois qu’elle ne réalise des miracles qu’en raison du grand nombre d’acteurs qui s’y impliquent. Page après page Trois gouttes de sang comme une fleur force l’admiration et le respect. Dans notre époque souvent individualiste, il met en exergue ceux qui pensent à l’Autre, ceux qui construisent des futurs. Il faut des œuvres comme celle-ci, pleines de grandeur, et porteuses d’un souffle d’espérance pour l’avenir afin de que d’autres aillent simplement offrir leur sang.
Site des éditions le bec en l’air
30€