Paru chez Filigranes Éditions, Cœur bleu, voyage en Bretagne, est le fruit d’une résidence proposée par l’artothèque de Vitré et à laquelle a participé Amaury da Cunha entre 2023 et 2024.
L’ouvrage se compose de photographies prises autour du château des Flégés, ainsi que de textes courts extraits des carnets de l’auteur.

Alain-Fournier note dans Le Grand Meaulnes : « Mais le passé peut-il renaître ? ». Cette sentence pourrait aussi bien s’appliquer au propos qui sous-tend Cœur bleu, voyage en Bretagne. Amaury da Cunha y séjourna enfant, mais de manière épisodique, en coup de vent, deux ou trois fois l’an. Pourtant, les traces mémorielles sont là, et quarante ans plus tard, il revient en ce lieu, toujours pour de courts séjours, à la rencontre de ce passé. Il ne s’agit pas, toutefois, d’un simple voyage à rebours, mais aussi d’un détour par ce qui ne peut plus être dit, écrit ou photographié.

Deux fillettes courent dans un parc, la lumière est basse et la scène rappelle un peu Vallotton ou une page de Proust. Il y a toute la délicatesse du moment, la grâce enfantine dans sa joie la plus pure.
Une vieille photographie, racornie et déchirée, s’accroche désespérément à un papier peint antédiluvien. Un aïeul parle des Flégés comme du château « de l’angoisse ». « On prélève des images comme on recueille des oiseaux tombés du nid. », note Amaury da Cunha.
Le temps s’égrène, infini, la pierre porte une date : 1669. Dans la lumière bleutée, des scènes se dévoilent : un trophée de chevreuil, une statue de pierre, un cœur.
Parfois, un visage contemporain émerge, un homme âgé, des mains tenant une cigarette. Un chien sert de guide dans ces recherches d’un temps passé, le tigre somnole sur la couette, une horloge compte ses minutes silencieuses.
Il ne se passe presque rien, le temps vire à la pluie, c’est la Bretagne ; ici les souvenirs sont magnifiques et minuscules.

Cœur bleu, voyage en Bretagne, nous invite à la surprise. D’abord, parce que le livre comporte cette double entrée photographique et textuelle. Il est rare que les auteurs donnent à voir ce qui constitue la trame de leur travail. Ici, Amaury da Cunha fait plus que ça : il invite les lecteurs à parcourir l’endroit et le moment avec lui. Ses notes sont autant de points de repère sur sa création, sur la mise en œuvre de ces séjours, sur ses doutes et ses convictions. Il ne s’agit pas d’apprendre à faire un livre ou à valoriser une résidence, mais plutôt de comprendre comment se construit un propos, une mémoire. De réfléchir au pourquoi des choses, au choix des images, des mots.
Le château des Flégés est un écart dans l’existence du photographe, un espace entre fantasme (celui d’un trésor caché par exemple) et réalité des pierres, du vent, de la pluie. Et la construction chronologique du récit nous ramène sans cesse à ce qui est, au concret des murs, des environs, des êtres, mais aussi à ce qui fut et ne fut pas, aux vacillements des souvenirs, à leur possibilité.
Amaury da Cunha cherche des traces, accompagné parfois par son père, revit des craintes enfantines et les sublime. Ainsi, cet étang, autrefois source de peur, dans lequel il voudrait se baigner nu dorénavant. Mais ces traces s’appuient sur le réel, sur des villages, des villes, des personnes. Au fond, que reste-t-il quand il semble ne plus rien rester ?

Tout.
Tout est là quelque part, à portée d’appareil. Une corneille morte, l’ombre d’un pistolet sur un tissu, le grand-oncle et ses routines rassurantes.
« Je suis en mal de cachettes : bois, sous-bois, prés, chemins de traverse, etc. » et de ce manque naissent des images. Une fleur nimbée de lumière, la crosse roussie de fougères, une branche de saule au vert acide. C’est alors que viennent, aussi, des réminiscences, celles d’une photo de sa grand-mère prise avenue du Maine à Paris, ou des jeux forestiers.
Il y a une intrication permanente entre la photographie et ce qu’elle évoque, entre le texte et l’image.

Cœur bleu, voyage en Bretagne n’est pas un récit linéaire, même s’il en a la forme. C’est un voyage tortueux, dérouté, un va-et-vient entre les époques, les territoires, les êtres. C’est surtout un vaste voyage intérieur, une quête sans fin. Des passés se construisent et s’élaborent peu à peu, photographie après photographie.
À la toute fin, l’essentiel s’exprime : la joie et la mélancolie, la beauté et la ruine ; qui dit ce qu’est vivre, grandir, vieillir.

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