Khalil – Ezra Nahmad

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©Ezra Nahmad

Ezra Nahmad s’est rendu de nombreuses fois en Cisjordanie, plus exactement sur le territoire du mont Hébron. De ses séjours, il a tiré un ouvrage, Khalil, publié aux éditions beeSheep composé de photographies, mais aussi d’un long texte et de poésie qu’il a écrit.

Un désert de pierres d’où émergent quelques rares touffes d’une végétation rase. Il n’y a rien, ou presque. Ici, il doit y avoir des Dieux, des puissances telluriques pour qui le Temps est infini et qui se moquent bien de nos conditions mortelles.
Pourtant, les humains sont là, ceux du village de Sussya par exemple où l’auteur a séjourné plusieurs fois. Des hommes, des femmes, des enfants, un chien au regard torve, des baraquements faits de planches, tôles et plastiques, des murets en pneus, des traces ténues – artefacts laissés sur le bord d’un chemin caillouteux. Des vestiges, une sorte d’archétype.
« Sussya renvoie aux représentations les plus conventionnelles attachées à la Palestine, passablement éculées : la tribu soudée, cramponnée aux arcadies bibliques, le réfugié dans les camps. »
Sauf qu’il n’y a pas un, mais deux Sussya. Parallèlement, les colons israéliens ont construit le pendant au premier, à la différence fondamentale que le leur est fait de béton, d’acier, et jouit de tout le confort moderne.
Telle est la situation dans toute sa complexité.

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©Ezra Nahmad

Avec Khalil, Ezra Nahmad fait le choix de ne pas la documenter telle quelle, de ne pas faire un reportage. Au contraire, ses photographies à la croisée du documentaire et d’un travail plasticien, permettent d’ouvrir le propos afin non pas d’en saisir le sens général (puisqu’il ne semble pas y avoir un sens prédéterminé, fixé), mais plutôt d’en relever les strates intriquées qui forment un récit polysémique et ouvert.
Sussya pourrait être un condensé, peut-être, de tout ce qui se joue en ces territoires : la mainmise/colonisation israélienne, les pertes territoriales palestiniennes, mais aussi l’anthropocène et cette soif d’asservir la Nature, de la bétonner, de l’envahir, et malgré ça le temps immémorial de la roche, ces ères géologiques qui nous dépassent et montrent d’une certaine manière toute la fatuité qui habite les humains.

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©Ezra Nahmad

Parce qu’au fond, c’est bien de cela dont il s’agit : pendant que les Hommes s’agitent, construisent, détruisent, cultivent, ils oublient la fragilité de l’existence, son éphémère substance. Le mont Hébron n’a que faire de nos vies, elles ne représentent pas plus qu’un claquement de doigts. Les images de désert sont d’ailleurs assez symboliques : la roche est immobile, le ciel immense et le contraste avec les baraques de planches des habitants de Sussya saisissant. Nous ne sommes rien.
Pourtant, les communautés présentes l’oublient en permanence. Une jambe qui n’en est plus une, trace tangible d’une guerre sans fin, du béton, de l’acier… On veut laisser une marque, exister, bâtir, envahir, s’agrandir, tuer pour ne pas être tué, penser sans cesse à plus, plus grand, plus vaste, plus cher. En aucun cas se rappeler la Mort, l’inéluctable et la brièveté d’une existence. Il y a quelque chose d’une vanité dans cet ouvrage, comme un rappel de notre finitude.

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©Ezra Nahmad


La grande force des photographies d’Ezra Nahmad quand il s’empare du lieu, le fait sien, révélant les enjeux et les complications infinies qui en naissent, réside dans le fait qu’il ne cherche pas à nous convaincre. Il s’éloigne du discours ambiant, qu’il soit palestinien ou israélien et, comme il l’écrit : « Aujourd’hui, la vocation mythique du sol est récupérée pour l’essentiel par la propagande religieuse et nationaliste. Pour acquérir une bonne connaissance de cette région, apprécier ses paysages, il est nécessaire d’en extraire les fables, de les distiller, et souvent de s’en prémunir. » Ses images, au nombre restreint, portent donc une complexité intrinsèque, ce qui lui permet d’aller au cœur du propos.
Il revient à la source, aux origines : le mont Hébron, le ciel, la pierre et parfois des humains qui vivent ici comme ils le peuvent, pour un temps donné. Il n’y a pas ici de leçon, juste une volonté de témoigner de ce qui est.

Finalement, Khalil fait plus que révéler, il offre la possibilité au lecteur de réfléchir à quelque chose de plus vaste : à l’exacte grandeur du Monde et à sa place dans celui-ci.

A propos d’Ezra Nahmad

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Frédéric MARTIN
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