Ada, Au-delà de l’image, paru chez Hématomes Éditions, est un livre d’artiste façonné autour du spectacle éponyme écrit et mis en scène par Véronique Caye. Petit objet délicat, il révèle pourtant une œuvre d’une grande puissance réflexive.
(Ndlr : homme et femme s’entendent ici dans une question de genre et non de sexe biologique)

Ada, ingénieure en informatique, n’est soudain plus reconnue par l’intelligence artificielle (IA) et la reconnaissance faciale. En effet, en raison de la masculinité des données IA, des biais se créent qui rendent invisibles certaines femmes. Naît alors un dialogue entre la scientifique et la machine autour de l’identité et des représentations de genre.
Les premières pages du livre ouvrent sur des photographies, également réalisées par Véronique Caye, de rochers, et un court texte expliquant que les recherches scientifiques témoignent d’un élément important : les empreintes de mains préhistoriques étaient bien plus régulièrement féminines que masculines.
Puis, le texte se met en place, dialogues entre Ada et la machine, lignes de code en langage python, encarts explicatifs, photographies. Ada perd son identité en raison des erreurs de la machine – elle est terrible cette phrase. : « Je te regarde/je ne te vois plus » ou ce leitmotiv « A quelques erreurs près » – et c’est toute une réflexion qui s’ouvre autour de l’identité propre face à nos identités et existences numériques, mais aussi sur le gender data gap c’est-à-dire sur le fait que même dans un domaine comme l’IA, et souvent de manière inconsciente, les données fournies le sont majoritairement par des hommes et conduisent à une invisibilisation des femmes.

Le texte de Véronique Caye, polysémique, multiplie les pistes afin de nous inviter à réfléchir aux nombreuses dimensions de cette situation.

D’abord, la référence explicite du titre à Lady Ada Lovelace, pionnière de la science informatique au XIXème siècle, morte très jeune et qui sombrera par la suite dans l’oubli alors que ses travaux furent fondamentaux.

Ensuite par cette construction masculine du passé et du futur : la féminité de l’art pariétal trouve un écho troublant dans le gender data gap. Le monde est pensé par les hommes, bien souvent pour les hommes. Or, cette manière de créer met à l’écart une moitié de l’humanité, la rendant silencieuse ou même, à l’instar des deux Ada, les effaçant complétement du monde.

Il y a très certainement des solutions à apporter, et l’artiste en propose en excipit de son livre, qui passent par une plus juste présence des femmes dans les travaux de recherche. Il faut noter, d’ailleurs, qu’actuellement certaines scientifiques poursuivent les recherches autour de l’IA, ainsi Michèle Gouiffès et Behnoosh Mohammadzadeh (Laboratoire interdisciplinaire des sciences numériques LISN CNRS Université Paris Saclay), Tina Nikoukhah (École normale supérieure Paris Saclay) et Joy Buolamwini (Massachusetts Institute of Technology MIT).

Enfin, Ada, au-delà de l’image, œuvre à un questionnement autour de l’identité, et pas uniquement celle de genre, à l’heure du tout numérique, et alors que nous nous dirigeons vers l’hyperpuissance des IA. Que reste-t-il de l’individu après ça ? Quelle sera sa place au sein d’une société en partie asservie à la machine ?
La phrase d’Ada : « Ça rend folle/d’imager/de coder ce qui EST/ pour inventer ce qui N’EST PAS » porte un regard lucide et terrible sur la situation actuelle et à venir.

Ce qui est remarquable, ici, c’est que les deux situations s’entremêlent, se répondant de manière surprenante. Nos sociétés sont constitutives de ceux qui les dirigent, les fondent, les structurent, et le genre masculin, archi dominant, n’a pas toujours conscience de ce qu’il produit. Par conséquent pointer, sans accuser, les égarements, les erreurs, les biais est une nécessité et devrait être une évidence afin d’aller vers quelque chose de paritaire, égal et équitable.

Ada, au-delà de l’image est un beau livre, au texte foisonnant, complexe qui peut se lire seul et ouvrir de vastes réflexions.
Mais il a donné lieu, aussi, à plusieurs représentations où la mise en scène assurée par Véronique Caye propose un spectacle qui mêle chant, théâtre, projection et musique. C’est, à l’instar du livre d’artiste, une œuvre complète et dense, surprenante et envoûtante.
Dans tous les cas, il paraît plus que nécessaire de s’emparer des deux, de les lire ou de les voir, et surtout que chacun.e ouvre sa pensée pour créer un avenir autre.

Site de Véronique Caye

Site de Hématomes Éditions

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