On ne soulignera jamais assez à quel point les livres conçus par Origini Edizioni sont aussi réussis sur le fond que sur la forme. These earthly shores qui mêle les photographies de Daphné Korsiani et la poésie de Dimitris Leontzakos ne déroge pas à cette règle.
L’ouvrage au format à l’italienne, comprend trois types de papiers et une mise en page délicate de Matilde Vittoria Laricchia afin d’offrir un objet ciselé ressemblant à un grimoire.

« After the poem, the world return to ignorance. »

Le monde est là, à nos pieds : des montagnes enneigées, le creux d’un lac glaciaire, puis les rives d’une mer inconnue. Cascades telluriques, l’eau se fracasse silencieusement, les étendues immenses laissent le souffle suspendu.
Le monde respire, nous aussi. Il n’y a pas âme qui vive, simplement la pulsation du temps, les battements de la pierre, des rocs et des rives. Le Temps d’avant le Temps.
Puis, des oiseaux scindent le ciel, la vie émerge du chaos, des névés aux mémoires immémoriales scintillent.

« I sense the divine
Trough its silence »

A pic de la falaise, une construction humaine paraît perdue au milieu de l’Absolu du lieu.
Les Dieux nous contemplent, entendons leurs souffles.

These earthly shores est un rythme, celui du Monde en ce qu’il a de plus infini. Les photographies de Daphné Kotsiani nous invitent dans un quelque part qu’il n’est pas nécessaire de nommer : c’est une mémoire, un recueil de sensations, de souvenirs, de fragments précieux. Tout ceci nous dépasse complétement : la montagne, le vent, l’eau, et nous ramène sans cesse à notre condition d’humain, notre durée de vie éphémère. À regarder les images proposées naît la sensation du sublime kantien : démesure, vertiges éternité. Mille mémoires d’Hommes ne suffiraient pas à comprendre ce qui se tient ici. Pourtant, il y en a une, celle de l’artiste qui se saisit du lieu, de son épaisseur monumentale, de sa dimension totale. Accompagné des vers de Dimitris Leontzakos, le recueil devient un voyage à rebours, un écart vers ces espaces d’avant l’espace. Pensez-donc, ici les montagnes ont vu naître la Vie, grandir et périr des civilisations…

Et c’est au sein de ce décor infini, par la délicatesse des tirages que se révèle l’infinie poésie du Temps.

« The most lucid glasses are made of stone. »

Les vers du poète ne sont pas un support aux photographies, pas plus que celles-ci n’illustrent ces derniers. Bien au contraire, il y a ici deux voix qui tissent un récit, apportant l’une à l’autre et fondent une poétique symbolique et lucide.
Nous ne savons pas où nous sommes, nous ne savons pas ce que les mots offrent, et c’est tant mieux. Les émotions s’élèvent, croissent, oscillent à mesure que nous avançons.
Il faut simplement ressentir, laisser infuser en nous ce qui est. Alors, apparaissent nos propres mémoires, nos propres ressentis.
Il n’y a pas un récit, mais plusieurs qui s’entremêlent, se divisent, se rejoignent.

L’humanité oublie tout ça, oublie qu’elle n’est pas grand-chose, à peine un claquement de doigts. Malheureusement, elle l’oublie.
Parce que la grâce qui habite ces espaces en subit trop souvent les violences, la destruction.
Ce n’est certes pas un hasard si les êtres humains n’apparaissent qu’en toute fin, flous, effacés, comme éloignés.
Éloignement salvateur ou arrivée délétère ?
Il est impossible de trancher, seul l’avenir le dira.

These earthly shores s’achève ainsi, laissant une trace indélébile et fragile au creux de notre âme. Nous avons touché du doigt l’Immense et l’Absolu…

Site de Daphne Kotsiani

Site d’Origini Edizioni

49€