
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
Aux éditions Le Mulet on aime bien les projets collectifs. Il y a eu la série des 10/10, plus récemment le projet Döppelganger (Manu Jougla et Simon Vansteenvinckel) et le dernier en date, Octopus, met en relation huit photographes (Pasquale Autiero, Gil Barez, Vincen Beeckman, Stéphane Charpentier, Manu Jougla, Marie Sordat, Mathieu Van Assche, Simon Vansteenwinckel) avec une ville mythique : Naples.
Conduit par l’italien Pasquale Autiero, les protagonistes vont, une fois de plus, livrer un travail où l’individualité s’efface au profit du collectif. Les images sont anonymes, seul le lieu compte. Le lieu et ses habitants, ses légendes, ses Dieux.
L’ombre de Maradona plane à chaque page. Pensez-donc ! C’est lui la légende du stade, l’artisan de la victoire aux pieds en or, le gamin des rues à qui tout réussi, peu importe comment. Parce que c’est ça le Naples d’Octopus : une cité foisonnante où le sublime côtoie le grotesque, où les supporters croisent des Madones.
Les rues sont sales et pleines de malfrats, on se baigne dans le port sous le regard d’un chien interloqué. C’est la vie et l’enfance, les vespas et la pluie. C’est un temps qui nous échappe, on s’aime en se regardant.
Toujours là, le foot, ses banderoles. Toujours là la religion, ses prêtres et ses sœurs. Toujours de belles femmes aux longues jambes, des vieillards à la moustache épaisse, des gamins braillards et joyeux, un drap qui sèche à une fenêtre.
Naples n’est pas une ville, c’est un territoire loin des cartes postales.
Majoritairement en noir et blanc (même s’il y a quelques incursions vers la couleur par moments), les images touchent du doigt la complexité du lieu et c’est la grande force de ce nouveau projet collectif.
Comment appréhender Naples, s’éloigner des clichés convenus (la baie, la mafia et le reste) ? Peut-être en ouvrant la possibilité du regard. Les octuples tentacules de la pieuvre, ce sont seize yeux en parfait état de fonctionnement, qui portent huit visions du monde, sensibilités et envies.
L’ensemble, une fois mis en œuvre, donne naissance à ce travail complexe et dense.
Est-ce vraiment Naples qui se déroule sous nos yeux ? Nous pouvons nous interroger puisque rien ne semble nous le dire explicitement. Pourtant, je ne connais pas cette ville et j’y suis et j’y crois ! D’ailleurs de quelle vérité parle-t-on ?
Octopus, comme les ouvrages collectifs précédents, nous prend par la main, nous invite dans un espace en dehors de l’espace. C’est Naples, bien sûr que c’est Naples puisqu’il y a Maradona, le foot et Dieu.
Mais ce n’est pas Naples et tant mieux.
On évite ainsi le catalogue de voyage pour arriver dans une autre vérité : celle de la rue et des habitants. Parce que les huit photographes pratiquent avec bonheur cette photographie « de rue », qui prend ici des accents sociologiques, ethnologiques plein de curiosité et de bienveillance.
On vit à Naples, on y meurt aussi. On s’aime et on se dore au soleil. On est biker barbu, jeune couple, vieux couple, façade lézardée, pêcheur attentif, fan du Napoli, petit chien curieux ou molosse, statue du Christ et ruelle, gamin bagarreur, Sainte Vierge, mendiant ou roi d’un royaume minuscule.
Tout ça et plus encore.
On est humain.
Vivant.
Triste.
Heureux.
Ici et fier d’être ici.
Octopus n’est pas une ode à la ville, ne prétend pas faire croire que tout est rose là-bas. Mais, le livre a cette grande force, encore une fois, qu’il porte un regard plein d’humanité, de respect et d’humour tendre pour celles et ceux qui y vivent.
De 10/10 à Octopus, le fil photographique est le même : humilité, curiosité et joie d’être ensemble. Et une fois encore ça fonctionne magnifiquement bien !
35€