
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
Lauréat de la Grande Commande Photographique pilotée par la BNF, soutenu par la Bourse Laurent Troude et le CNAP, Cédric Calandraud a publié Le reste du monde n’existe pas aux éditions Loco.
Ce travail, mené pendant cinq années dans les espaces ruraux du nord et l’est de la Charente, est un retour sur les terres où Cédric a vécu jusqu’à l’âge de dix-huit ans et qu’il a quitté pour ses études. C’est aussi, surtout, un regard porté sur la jeunesse qui occupe ces territoires, sur sa vie, ses espérances, ses sociabilités dans une zone « marginalisée » de la France.
Alors que le concept de diagonale du vide, un peu dépassé, hante encore les livres de géographie, et que l’on lui préfère le discuté France périphérique, la réalité du terrain proposée dans ce livre est très loin des mots, des idées générales qui parsèment les débats et les plateaux de télévision.
La réalité, du livre de Cédric Calandraud, ce sont de jeunes gens qui vivent une vie qui n’est pas celle que les représentations urbaines valorisent. Une vie rurale, une vie d’ennui, une vie d’études techniques ou professionnelles, une vie à la simplicité évidente, et qui paraît tracée, bornée dès la naissance.
Il y a des jeunes filles en blouse Leclerc ou aux ongles manucurés, décorés, des garçons qui tracent des plans et construisent leurs pavillons avec des copains. On croise une croix le long d’une départementale, ornée de fleurs, souvenir tragique de trop de vitesse, d’un samedi soir alcoolisé.
Ici, on est parent tôt, et on reproduit quelque chose d’immuable.
Paris est loin, c’est un autre monde qui s’entrevoit par la télévision, Internet, un monde de pouvoir qui n’est pas bien compris et vis-à-vis duquel s’installe la méfiance.
Le temps s’écoule, ennuyeux quelques fois, joyeux et bariolé comme les ballons de la salle des fêtes parfois.
Comme le chante MC Circulaire, « on squatte les arrêts de car » parce qu’il n’y a « rien d’autre à foutre », mais l’on est toujours occupé à quelque chose.
Pourtant, ce que révèle Le reste du monde n’existe pas, que ce soit à travers les délicates et fragiles images qui le composent, les entretiens avec les sociologues Yaëlle Anselme-Mainguy et Benoît Coquard , le texte de Salomé Berlioux et Félix Assouly qui représentent l’association Rura, c’est que ce monde à l’écart des lieux de pouvoir et de décision, ce monde que les urbains en tout genre au mieux ignorent, fantasment et au pire moquent, recèle pourtant une grande force et une certaine cohésion.
D’abord, parce que ce sont des lieux qui, en tant que tels, appartiennent à de nombreux espaces français. Ici, c’est la Charente, mais nous retrouvons les mêmes en Auvergne, dans le Jura ou en Loraine. Il suffit de lire le roman de Nicolas Matthieu Leurs enfants après eux afin de s’en convaincre, ou de traverser la diagonale du vide en voiture.
Ensuite, parce qu’en ces territoires, se construisent des existences qui, si elles semblent d’un ennui mortel pour les habitants, n’en restent pas moins fertiles.
« Ici, c’est mort. » répètent à l’envie les jeunes gens dont les portraits ornent le livre. Pourtant, il y a des fêtes, des boîtes de nuit, des parties de chasse, des feux d’artifice et des amitiés qui se nouent pour toujours. Cette sensation d’ennui est plutôt à mettre en regard avec une activité qui serait frénétique au cœur des métropoles où s’ennuyer serait un mot banni du vocabulaire. Surtout, ces villages, petites villes sont aussi des espaces où se forgent des solidarités très fortes. L’entraide est ici une réalité qu’elle n’est pas à Paris ou Lyon. Nécessité faisant loi, on se forge des relations, souvent masculines, autour de goûts communs (chasse, pêche, foot, moto), d’études ou de la recherche d’un emploi.
Enfin, parce que les représentations restent un peu les mêmes : on se dépêche de quitter les études, on se marie assez vite et cette photographie touchante d’une jeune maman portant son enfant montre que l’on est parent tôt.
C’est ainsi.
Bien entendu, Le reste du monde n’existe pas ne cherche pas à survaloriser ces existences, pas plus qu’il ne cherche à les stigmatiser. Cédric Calandraud a connu cette vie, il l’a vécu et après s’en être éloigné, il vient reprendre contact avec elle. En choisissant la collaboration avec ces jeunes adultes, en travaillant au-delà de la photographie, sur l’échange et le partage, il propose un regard tout à la fois tendre et sérieux sur ce qui est. Il ne faut pas oublier que ces habitants ne sont pas les « bouseux » fantasmés par certains, mais aussi que les difficultés de la vie les poussent à se révolter (Les Gilets Jaunes naquirent dans ces villages.) ou à voter aux extrêmes.
Il y a en France une ruralité bien présente où des êtres humains vivent, se logent, se nourrissent, travaillent. Alors que les personnels politiques semblent l’oublier, le nier ou l’ignorer, un ouvrage comme celui-ci vient remettre les choses à leur place. Est-ce qu’on décide de rester ici ou est-on contraint ? Peut-être un peu des deux, mais en tous les cas, les très beaux portraits de Cédric Calandraud sonnent comme un hommage respectueux à celles et ceux qui chaque jour doivent prendre leur voiture pour aller travailler ou dont les dimanches se passent sur un terrain de foot.
Le reste du monde n’existe pas est un livre d’une profonde humanité, d’une très belle délicatesse. Ici, pas de voyeurisme, pas de sensationnalisme, mais un regard plein d’empathie et de curiosité envers ces personnes aussi membres de la Nation et qui, bien souvent, en sont les indispensables rouages. Il n’y a pas de France qui n’existe pas, juste une France que jusque-là, on ne regarde pas.
Une soirée de lancement est organisée vendredi 19 septembre, à partir de 18H30, chez Loco (6 rue de Montmorency Paris 3) avec Cédric Calandraud et Félix Assouly de Rura.
45€