Mons Ferratus – Karim Kal

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©Karim Kal

Treizième lauréat du prix HCB, Karim Kal signe avec Mons Ferratus, co-édité par l’Atelier EXB et la Fondation Henri Cartier-Bresson, un travail oscillant entre documentaire sur le territoire de la Haute-Kabylie et abstraction.

S’il ne s’agit pas d’une quête d’identité, bien que le photographe soit petit-fils de Kabyle, Mons Ferratus est avant tout un regard plein d’acuité porté sur cette région de haute résistance que les romains nommaient la montagne de fer (Mons Ferratus) notamment par la présence de terres rouges et ferrugineuses. Oscillant entre le documentaire stricto sensu et une forme particulière d’image abstraite, les prises de vue nocturnes dévoilent des fragments de lieux, d’architectures, par l’adjonction de lumières flash. Cinq séries sont publiées : Crêtes, Sols, Gravats, Lentisques et Sutures, chacune apportant un regard particulier.

Par ailleurs, l’ouvrage comporte un extrait du livre Mes indépendances : 2010-2016 de Kamel Daoud, un entretien avec Clément Chéroux directeur de la Fondation et un essai d’Émilie Goudal docteure en histoire de l’art.

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Des lumières de villes ou de villages, brillantes dans l’épaisseur de la nuit, sentinelles d’un territoire qui paraît à peine endormi. Au sommet des crêtes, les âmes sommeillent, mais la Kabylie veille. Puis ce sont des arbres, des panneaux rouillés, une route qui surgissent à la faveur d’un flash de l’obscurité dense. Une tombe, des murs percés de fenêtres aveugles, un sigle peint, énigmatique, acte de malveillance ou langage cabalistique, un panneau orné du portait de Hettak Youcef, martyr, assassiné à 22 ans, le monde se dévoile, se devine par fragments aux repères incertains.

Une tension règne à la lisière, ici, nous ne sommes que des invités ou peut-être des intrus. « Depuis la guerre civile des années 1990, la nuit nous a été enlevée. On ne s’y amuse pas, on y a peur, on s’y hâte. » écrit Kamel Daoud. Et de fait, la nuit ici contient quelque chose d’inquiétant, ces « volontés homicides » qu’évoque Céline dans le Voyage. Territoire opaque, il se recrée par morceaux, par adjonction du vide au plein avec les photographies de Karim Kal. Il n’y a pas une nuit, mais des nuits où des parties du décor, plus lisibles, plus claires finalement, nous sont données à voir. Le mythe naît au gré de nos imaginations.

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©Karim Kal

Poursuivant cette quête, le photographe a investi son studio en France avec des morceaux de gravats ramassés à Tizi-Ouzou, des branches de lentisques. Les deux séries de natures mortes, faiblement éclairées d’un rayon rasant rappellent deux mémoires : celle des migrations et celle d’immenses incendies qui ravagent la Kabylie.

Enfin, Sutures présente des photographies de négatifs de crânes de Kabyles conservés au Musée du quai Branly-Jacques Chirac ouvrant ainsi un autre chemin à l’histoire complexe qu’a vécu cette région d’Algérie.

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©Karim Kal

Les images de Karim Kal empruntent au documentaire pour nous révéler ce qu’est ou peut être la Kabylie. A travers ces cinq travaux, le lecteur prend la mesure de ce passé et de la puissance de ce territoire. Il ne s’agit pas ici de figer quelque chose, d’en faire une sorte de compte-rendu lisse et glacé, mais au contraire de montrer en quoi le détail, la partie contient le tout.

Un fragment de gravats et c’est la relation complexe qui se joue entre la France et la Kabylie, la mémoire de celles et ceux qui partirent par-delà la Méditerranée en quête de travail, renvoyant une partie de l’argent gagné au pays. Un mur, aussi anodin soit-il, dans la nuit noire écrit aussi les guerres qu’elles soient civiles ou non, qui ont frappées tant de fois la Kabylie. Lentisques fait émerger une conscience du drame écologique qui se trame en plus des autres qui frappèrent les lieux.

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©Karim Kal

À la lecture, Mons Ferratus a quelque chose d’étouffant et de libérateur. Étouffant parce que dans la noirceur charbonneuse, il faut accepter de ne pas savoir exactement où nous allons, accepter de n’avoir pas l’ensemble. Pourtant, c’est ce qui va libérer le regard, lui donner la possibilité de ne pas accrocher à ce qui n’a pas réellement d’importance. Les photographies de Karim Kal aux architectures relatives sont autant de portes d’entrées qu’il convient d’appréhender une à une.

Alors que la Kabylie a une histoire vieille de plusieurs millénaires faîte de luttes, de souffrances, de tragédies abominables, et d’espoirs un peu fous, lire Mons Ferratus c’est justement offrir à celles-ci d’être visibles, offrir par ailleurs d’aller encore plus loin pour parfaire sa connaissance.

Finalement, comme très souvent, il ne doit pas y avoir de mémoires confisquées, perdues et ce livre fait partie de la nécessité de mettre en lumière ce qui s’est passé, de le rappeler avec force et beauté.

Site de Karim Kal

Site de l’ Atelier EXB

Site de la Fondation Henri Cartier-Bresson

45€

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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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