
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
En 2020, l’hôtel Fontfreyde, centre photographique, et la ville de Clermont-Ferrand, invitaient Patrick Tourneboeuf en résidence. L’idée de celle-ci était de réaliser un travail sur les mutations urbaines que celle-ci a vécu et vit encore. Même si le COVID, les confinements successifs, ont retardé le projet, le photographe a pu le mener à bien, offrant ainsi un regard particulier sur la métropole auvergnate.
Une fois achevée, la série, intitulée Entretemps, a fait l’objet d’une publication chez Les Éditions de Juillet et d’une exposition à l’hôtel Fontfeyde.
Le monde que photographie Patrick Tourneboeuf est silencieux. Il surgit à travers les traces d’un passé qui peu à peu disparaît, se résorbe, se modifie. C’est ici, par exemple, les vestiges des pistes Michelin, un bâtiment en forme de rampe que tous les clermontois connaissent tant il symbolise à la fois l’avant industriel et une certaine image de la ville (au même titre que le Puy-de-Dôme ou la statue de Vercingétorix).
Plus loin, des hangars immenses, entrelacs de tuyaux, cheminées de briques rouges, wagon. La ville est tentaculaire pour paraphraser Verhaeren, elle s’étend et change de peau au gré du temps.
La Muraille de Chine, immense barre d’immeuble, existait encore. Il l’a saisi dans son gigantisme désuet, son incongruité, juste avant qu’elle ne soit rasée.
Ce sont aussi une prison désaffectée, des murs couverts de tags surplombant la béance d’un chantier.
Clermont-Ferrand a été, Clermont-Ferrand sera et Patrick Tourneboeuf s’empare de ce laps de temps, cet entretemps, durant lequel les choses n’ont plus vraiment d’utilité, mais où elles n’ont pas été encore remaniées.
Pour qui connaît cette ville les images ici présentées sont un puissant révélateur ; pour qui ne la connaît pas elles proposent un chemin de mémoire passionnant.
Clermont, mais ses environs immédiats aussi, a connu une profonde mutation depuis les années 1990. D’une cité aux murs noirs, volcaniques, d’un lieu chargé de la mémoire industrieuse de Michelin, naît peu à peu autre chose. Le verre et l’acier remplacent les pierres des volcans, les industries migrent en périphérie (ou parfois malheureusement à l’étranger) et le centre urbain se gentrifie. Clermont-Ferrand n’est plus tout à fait Clermont-Ferrand, du moins celui que j’ai connu.
Mais Entretemps révèle avec justesse ce qui a été et qui, abandonné, porte tout de même le poids d’une certaine histoire. Michelin a embauché la moitié des habitants (et pollué l’autre moitié diront certains esprits facétieux), l’école des Francs-Rosiers marque une époque où le catholicisme imprégnait chaque pierre, les appartements de la Muraille de Chine hébergeaient les immigrés venus du Portugal, du Maghreb. Maintenant, en friche, désertés, ils n’en restent pas moins des lieux essentiels.
Parce que c’est ça que met en avant le photographe : une architecture, des constructions qui sont autant de points de repère d’un récit du XXème siècle, de la Révolution Industrielle, de la puissance économique, peut-être aussi des Trente Glorieuses et des espoirs de croissance infinie.
Les murs sont silencieux, vidés de leurs ouvriers, les HLM ont été rasés, leurs habitants disséminés. Il reste un grand silence au cœur des images très frontales, directes, de Patrick Tourneboeuf. Un silence, oui, mais qui n’est pas celui de l’angoisse ou de la mélancolie. Au contraire, il contient des souvenirs, des joies, des peines, une époque.
Le temps passe, les heures s’écoulent, toutes ces structures finiront par être détruites, reconstruites, bouleversées d’une manière ou d’une autre.
Resteront les photographies d’Entretemps, un livre comme un témoin d’une archéologie romantique. Il n’y a aucun passéisme ici, juste l’envie de nous mener en des espaces fragiles et puissants.
Patrick Tourneboeuf donne aux friches cette nécessaire mémoire qui leur revient, à nous de la perpétuer.
L’exposition Entretemps est visible à l’Hôtel Fontfreyde – centre photographique- 34, rue des Gras 63000 Clermont-Ferrand jusqu’au 27 septembre 2025. Ouverture du mardi au samedi de 13h30 à 19h, entrée libre.
Site de Patrick Tourneboeuf – Patrick Tourneboeuf est membre de Tendance Floue
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