Spectra, Archéologie de l’Imaginaire, est le nouvel ouvrage proposé par les Éditions Révolues. Il compile une somme d’images troublantes réalisées par le photographe Julien Lacroix dans un livre qui prend la forme d’une exploration intergalactique ou spatiale vers des terres qui semblent inconnues, mais qui nous sont pourtant très familières.

Des sommets enneigés, acérés, pics couverts de neige, rocs immobiles ; ici, le temps n’a pas de prise et tout semble éternel. Soudain surgissent des bâtiments de béton, d’acier, aux formes géométriques. C’est une sphère noire posée au sommet le plus haut, une statue figurant un homme qui semble sortir tout droit d’un musée soviétique. C’est un tunnel obscur au cœur de la pente, un amphithéâtre, des câbles. La présence humaine paraît abolie, seules quelques plantes poussent encore, des bouquetins se battent, et soudain, la mer arrive presque en haut des monts.
Nous ne savons pas où nous sommes, ni même pourquoi, mais il n’y a plus âme qui vive, juste la beauté des lieux, le vide et le silence.

Spectra joue sur cette ambiguïté permanente, où chacune des photographies contient des éléments connus (la pierre, le ciel, la neige) mais que viennent déranger ces constructions aussi étranges que terribles. Il y a quelque chose de la science-fiction au sein du travail de Julien Lacroix, un mix entre les bâtiments de Star Wars et une dystopie tragique où l’être humain aurait disparu de la surface du globe ne laissant derrière lui que ces structures énigmatiques. C’est tout le brio de ce travail, cette navigation sur une ligne entre fiction et réalité, entre possible et concret. Chaque image est une énigme, le lecteur allant de découverte en découverte, de questionnement en questionnement. Que sont ces bâtiments ? Qui abritaient-ils et pourquoi ? Pourquoi à pareille altitude, en un endroit si éprouvant ? Reliques militaires ? Zones de conflits ? Refuges face à la montée des eaux, face à des guerres terribles ?
Pour dire les choses de manière plus triviale : « Ça fait vrai. ». De cette véracité naissent dès lors des histoires, des constructions, des récits qui nous seront propres et qui tous portent la marque de la justesse.

C’est là, peut-être, ce que prépare l’espèce humaine pour les décennies à venir. Nous occupons l’ensemble des territoires émergés et les rares endroits où notre présence est ténue subissent de toute manière l’influence délétère de nos activités. Le climat se réchauffe, les neiges sont de moins en moins éternelles, les océans élèvent leurs niveaux… Dans le même temps, des conflits ensanglantent le monde.
Nous polluons, construisons, faisons du tourisme au sommet de l’Himalaya. Or, notre hubris ne connaît aucune limite et nous ferme les yeux sur le destin tragique qui est le nôtre. Pourtant, la montagne continue à être la montagne, majestueuse, minérale, atemporelle. Sa presque éternité pourrait nous servir de repère, de guide pour penser un avenir différent.

Demain, dans un siècle ou deux, nous aurons possiblement disparu créant notre propre destruction. Que resterait-il si d’aventure des civilisations exogènes venaient à visiter ces lieux ? Des plaques de béton verticales, des sphères d’acier noir, une main géante… Futilités qui éveilleront au mieux la curiosité de quelques archéologues du futur, mais laisseront surtout l’impression que nous n’avons pas su devenir nos propres protecteurs, les gardiens de nos existences. Les visiteurs s’en iront plein de questions sans savoir que notre orgueil a été son propre bourreau. Ils garderont toutefois des souvenirs photographiques de ces lieux désertés.

Julien Lacroix livre ici un travail magnifique d’audace et d’inventivité. Peu importe comment les images ont pu être réalisées, elles sont d’une richesse, d’une profondeur intellectuelle remarquable.
C’est l’essentiel pour qui veut tenter de trouver une autre issue, un autre possible à l’avenir sombre qui se prépare.

Site de Julien Lacroix

Site des Éditions Révolues

32 €