
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
« Nous parlions encore il y a peu de projets d’avenir. Le lundi matin ou tu m’annonce que tu me quitte ? »
Ces mots hantent les images de David Ameye. Ils disent le désespoir, la chute après la grâce, l’amour qui fuit face au démon qui le hante.
This is not about the Devil Inside, autoproduit, est un fanzine de grand format et de belle épaisseur. Le photographe y retrace quelques instants de sa vie d’homme amoureux, de père émerveillé, oscillant entre joie de voir grandir Zia, l’enfant souriante, et tragédie de ses silences après la séparation.
Noir et blanc argentique. Un homme aux yeux perdus de tristesse, bras appuyé sur une table.
Couleur argentique. Corps de femme nu, un cœur tatoué près du nombril.
Une enfant au masque blanc et son rire au fond des yeux, l’émerveillement.
Des corps, des visages encore, plus loin, des jours heureux et tranquilles, des heures de tendresse, une famille, quelque chose qui ressemble à une certaine idée du bonheur.
Puis, le temps et les images se brouillent, les colères naissent, le démon grignote et empoisonne les vies. Le silence s’installe après les cris, l’enfant grandit loin de son père. Les mots et les images s’obscurcissent.
« Tu ne me réponds pas, plus. » Il fume une clope et écrit des mots à Zia en écho au silence. Les autoportraits témoignent du désarroi.
Pourquoi ? Pourquoi l’amour cesse ? This is not about the Devil Inside pourrait être une tentative de répondre à cette question difficile et insoluble. Mais il ne s’agit pas que de cela. Il y a aussi, en filigrane, rampante, la question de ce qui anime les protagonistes de toute histoire d’amour et de famille. Les compromissions qui finissent par peser, les non-dits qui débordent, les états d’âmes vacillants. David Ameye ne se cache pas derrière des excuses. Il évoque ce démon qui le ronge, avec simplicité et naturel. Il conte l’amour et la chute en toute honnêteté.
Quel est-il ce diable ricanant qui l’envahit ? Peu importe, on pourra lui donner des noms scientifiques, le caractériser, le cataloguer, le médicaliser : il sera là de toute manière, poussant dans leurs derniers retranchements ceux qui le subissent, violentant l’âme de celui qu’il habite.
L’important n’est pas là.
Il est plutôt dans cette longue lettre photographique adressée à celles qu’il aime ou a aimées. Il est toujours un peu difficile dans nos sociétés pour les pères de dire clairement leur amour avec une sincérité touchante. Il est aussi difficile de dire leur désarroi. Ce n’est pas que c’est mal vu, toutefois le modèle patriarcal a longtemps clos cette possibilité. Bien entendu, les choses changent, et un ouvrage comme celui-ci ouvre un peu plus grand la porte du dire. Dire sans geindre. Dire et reconnaître ses torts. David Ameye exprime tout haut son amour immense pour sa fille, la tristesse de la distance qui s’est installée, la souffrance qui est en lui et le pousse à des comportements déraisonnables, ce diable ricanant et brouillon.
En contrepoint, apparaissent quelques photographies anciennes : un communiant, un couple amoureux, ce modèle qui fonde notre monde. Amour toujours… Amour qui dure… Espoir de pouvoir faire la même chose, de garder les mêmes espérances. Chute de ne pas y parvenir.
This is not about the Devil Inside… On songe un instant à la chanson d’INXS, la voix sensuelle et la mort tragique de Michael Hutchence. Nous avons tous, toutes, nos démons intérieurs, avec lesquels nous essayons de composer, de vivre. Parfois, ça réussit, souvent ça rate. Le photographe en a fait autre chose, l’a sublimé. Oui, Zia ne lui parle plus et l’amour s’est cassé la figure. Oui, il n’a pas toujours été quelqu’un de bien.
Mais.
Mais il le sait et le dit. Il s’en repent et reconnaît ses erreurs.
Il vit.
Avec l’espoir que demain l’enfant fée revienne et qu’ils pourront renouer.
Il y a quelque chose d’une tragédie dans ce fanzine bouleversant. Une histoire connue du public, une histoire universelle, qui pourtant le prend aux tripes, l’émeut et le renverse. C’est un livre qui offre la possibilité à tous, toutes, de comprendre que passé le cataclysme nous avons le pouvoir d’exprimer nos propres démons. Que c’est une liberté qui nous est offerte. This is not a Devil Inside mériterait plus que ses 100 copies, parce que chacun, chacune peut y trouver matière à réflexion sur ses propres diables, ses propres égarements. Nous pouvons aussi comprendre que la rédemption est possible.
Elle se nourrit de l’amour d’un père pour sa fille.
Simplement.
27€