Avec ce cinquième zine consacré à Dolorès Marat la maison d’édition Dumas.Salchli poursuit son chemin éditorial d’ouvrages de petits formats très riches.
À droite et à gauche, nous invite au cœur de l’univers étrange et délicat de la photographe qui vit maintenant en Avignon. Cependant pas de géographie ici, au contraire ce regard pétillant et fragile, aux couleurs énigmatiques, qui habite son œuvre depuis tellement d’années.
Peu à peu, les institutions l’exposent et ce n’est que justice. En effet, si le travail d’une artiste française mérite d’être montré, c’est bien le sien tant il s’est construit de manière complète, vaste et précise au fil du temps. Il faut donc prendre ce nouveau zine comme un moment de (re) découverte de son corpus, une observation curieuse de notre monde et de ce qui le constitue, un voyage vers les écarts de nos existences, là où nous sommes les acteurs d’un immense théâtre.
En fin d’ouvrage, l’écrivain Éric Reinhardt nous ouvre une piste de lecture : « à droite et à gauche tout simplement à droite et à gauche ce qui se passe dans la rue dans le bus dans le métro ce qu’elle sent et éprouve ».

C’est alors un soleil-lune vert qui nimbe des pyramides, une femme à la robe fleurie allongée, une plage et un gratte-ciel. New-York où Dolorès se rendait si souvent ? Ce sont aussi des falaises, des chutes d’eau, la nuit encore, le fracas assourdissant, des cactus et le désert, des teintes inquiètes, le rouge vif nocturne, les néons, un chien, une passante sous la pluie. Après, plus loin, des heures lynchiennes violettes et zébrées d’éclair, l’eau vert-jaune, des escaliers, la ville, la plage, les gens.
Un vertige à chaque image et en-deçà, en filigrane, l’espoir de retrouver en chacune d’elles un peu de la grâce, de la joie, de la tristesse, de toute cette palette immense des émotions qui traversèrent Dolorès Marat au moment de la prise de vue.

Elle ne fait pas des photos-souvenirs Dolorès Marat, mais chaque photographie évoque un souvenir, un « ça a été » complexe et qui lui emplit l’âme.
C’est ce qui constitue la force de son œuvre, sa beauté aussi. Quand elle débute les images, peu d’artistes s’emparent de ce qui est juste là devant eux. Il faut aller loin, chercher un sujet, un axe, quelque chose de facilement lisible, compréhensible. Las, ce n’est pas son envie. Elle préfère saisir ce qui l’entoure en y insufflant ce qui colore son ressenti. Peut-on photographier une émotion ? Oui, certainement, parce qu’À droite et à gauche nous présente ça, un chemin dans ce qui nous agite, nous rend tristes, gais, mélancoliques, joyeux. Tout ce qui nous rend vivants.
Pas-à-pas, jour après jour, opiniâtre, Dolorès Marat constitue un ensemble sincère. Puis, elle nous invite à le contempler, à regarder ce qu’est être humain. La solitude, la ville, l’émerveillement, l’amour, tout est ici. La richesse, la multiplicité de l’humanité sont en creux de ce zine n°5. On s’égare dans les dédales souterrains, presqu’abandonné de tous, on joue, on voltige et on s’embrasse, on est joie sincère et désarroi profond. Il y a le vent et l’eau, les nuits qui s’éternisent. Une mélancolie douce habite la lecture, page à page, lieu à lieu, c’est la condition humaine, le quotidien un peu toujours le même auquel nous ne prêtons plus vraiment attention, une somme de détails minuscules qui portent en eux l’infini des étoiles.

Dolorès Marat va au cœur de ça, elle avance et se saisit de moments qui deviennent peu à peu des métaphores, des rêves étranges, baroques, où le regard se perd sans comprendre, sans même chercher à expliquer.
Elle invente des mondes, des émotions si fortes, si époustouflantes que les couleurs en sont bouleversées elles aussi.

Il ne faut peut-être pas essayer de trop interpréter À droite et à gauche, mais plutôt le vivre, ça nous suffira à partir vers des territoires inconnus. C’est ce dont nous avons grand besoin à l’heure actuelle : se perdre au cœur du banal pour qu’il redevienne merveilleux.

A propos de Dolorès Marat

Site des éditions Dumas.Salchli

32€