Being here. Le titre du livre de Øyvind Hjelmen, paru chez Skeleton Key Press, sonne comme un slogan, un mantra à suivre pour nos existences trop bruyantes et agitées afin d’être ici, juste ici au sein du lieu et de l’instant.
Alors que nous passons nos vies à ne plus regarder ce qu’il y a autour de nous, à foncer tête baissée dans ces expériences que l’on nomme le quotidien, tout se réduit peu à peu à des éléments du décor. Pourtant, nous ne vivons pas ailleurs que maintenant, et ça nous l’oublions.

Il y a une lumière, un œuf en équilibre au bord d’une table, le velouté de la peau.
Il y a un cirque au chapiteau rayé et les nuages qui agitent le ciel.
Il y a des herbes couchées par le vent, une main sur un fauteuil, une rue pavée.
Tant et tant que nos yeux et nos âmes ne pourraient tout contempler en une fois si elles décidaient de s’arrêter, de respirer à pleins poumons et d’être.
Simplement être à ce qui est.
Parce que c’est ça vivre et non s’adonner à des fuites effrénées vers de prétendus paradis lointains, sauter d’avion en avion, de réunion en réunion, sans même voir le sourire de ceux qui nous entourent, la fragilité d’une fleur, la poésie.

Being Here. On pourrait penser à ce « ici et maintenant » lu si souvent, phrase rebattue qui perd sa substance évocatrice. On imaginera, peut-être, une méditation à bon compte, la marchandisation du bonheur et la félicité à bas prix.
Grossière erreur ! Øyvind Hjelmen a compris ce que c’est réellement être ici et nous en offre son interprétation singulière et réconfortante.
En premier lieu par le choix audacieux de publier de toutes petites images. Le lecteur va devoir se pencher, et ne pourra pas passer trop vite sur ces vignettes. Pas le choix ! L’instant dans toute sa complexité, sa beauté mérite que nous nous y attardions durablement. La lenteur imposée bouleverse les codes établis et produit un basculement.
Car, à présent nous nous arrêtons. Véritablement. Scrutant, questionnant la photographie, des espaces apparaissent aussi magiques et merveilleux qu’ils sont banals et quotidiens.
Ce qui se dévoile prend un sens tout autre. Le dos de la femme aimée, le vol d’un oiseau, un Christ en croix, un lustre, une simple chaise baignée de lumière, tout est bouleversé. Il n’y a plus vraiment de temps ni d’espace. Ça pourrait être hier, un ailleurs inconnu, mais c’est aussi bien notre maison, chez des amis, de la famille.
Tout se joue de cette façon et bien que la société propose de plus en plus de séjours lointains, de bonheurs un peu frelatés, de joies que l’argent rend monnayables, le photographe a pris une décision diamétralement opposée.

Tout est ici, il faut être ici et prendre son temps, décider la lenteur, le silence, l’écoute. C’est le moment où surgissent des mondes dans le monde, des éclats lumineux, des souvenirs nombreux. Il y a quelque chose de proustien dans les images de Being Here : chacune émerge d’un temps perdu puis retrouvé. Mémoires de nos étés, de nos enfances, de nos amours. Mémoire de l’écoulement des heures quand le vent baigne les heures et que les sourires emplissent l’espace.

Øyvind Hjelmen réussit quelque chose d’assez exceptionnel : son livre, ses photographies font du bien. Elles reposent de la vitesse, du bruit, des contraintes, du tic-tac incessant des chronomètres et de l’hystérie des jours. C’est si rare cette parenthèse, cette suspension comme une ample respiration, un moment méditatif.
Alors que tout va très vite, certainement trop, il existe de minuscules interstices où se glisser, des fractures où poser ses yeux, contempler ce que la Vie offre.
D’aucuns diront que c’est banal. Ils se trompent : c’est essentiel.

La série sera exposée à la galerie Le Lac Gelé à Arles du 07 au 13 juillet 2025 dans le cadre du Festival Off des rencontres photographiques. vernissage le 09/07/2025 à 18h à la galerie en présence de l’artiste.

Site de Øyvind Hjelmen

Site de Skeleton Key Press

45€