
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
TEATRO MUNDI, film de Véronique Caye, ouvre par un long plan fixe sur le théâtre de Dionysos à Athènes. Monde immobile. Silence, à peine le bruit du vent, le ronron sourd de la ville, quelques oiseaux pépient. Les pierres sont là depuis plusieurs siècles, les herbes gagnent les interstices, pourtant le spectateur sait la présence humaine.
Puis, par de très lents fondus enchaînés, nous allons à Bangor, Venise, Arles et tant d’autres endroits à la surface du globe. Toujours ce plan presque vide de présence humaine, à quelques exceptions près toujours des sons d’ambiance, et cette image statique, hypnotique. Les humains s’agitent et vivent leurs vies, les voitures foncent vers des ailleurs insolubles. C’est maintenant des nuits aux fenêtres illuminées derrière lesquelles naissent des rêves, des corps s’aiment ou souffrent. La mer ondule ses vagues, une tempête parcourt les estrans, dans le désert minéral une silhouette avance minuscule. Les civilisations s’engloutissent, l’ire de la Terre fait disparaître celles qui se prenaient trop au sérieux. Ici, la Vie et la Mort se mêlent, inextricables. Il n’y a ni début, ni fin, juste la Temps, toujours le Temps.
Dans le théâtre baroque des XVème et XVI siècle, certains auteurs développaient la notion de Theatrum mundi c’est-à-dire l’idée selon laquelle le monde serait une vaste scène de théâtre sur laquelle les Hommes ne seraient que des marionnettes contrôlées par les mains d’un Créateur à la fois démiurge et metteur en scène. Véronique Caye s’empare de ce postulat pour le rapporter à notre propre époque, à nos civilisations. Qu’est donc la planète actuelle si ce n’est un vaste territoire où nos existences sont régies par les lois du marché, les affres de l’économie, la soif de profit ? Les Dieux ont bien changé, ils n’habitent plus l’Olympe, mais des buildings de verre et d’acier, ils ne portent plus de toges, mais des costumes trois-pièces, et plutôt que la foudre, ils font tonner les bourses ou les canons. Hélas, agités par nos frénésies, nous oublions sans cesse la Terre, la Nature, nous en éloignant de plus en plus et dans notre hubris illimitée, nous pensons pouvoir la plier à nos volontés.
C’est oublier qu’elle se soucie de nous comme d’une guigne. Les vents agitent les océans, la terre tremble, les volcans explosent sans que nous n’y puissions rien et quand les puissances telluriques entrent en action, nous ne pouvons que subir et nous taire.
TEATRO MUNDI par l’enchaînement des images, par leur propos même, vient à point pour nous rappeler tout ceci. Le désert immense fit disparaître des rois et des reines, des villes furent noyées sous des déluges, il n’y a ni puissants, ni souverains, juste des Hommes aux existences bien brèves.
Dès lors que faire ? Subir, certes, puisque nous n’avons aucun pouvoir. Toutefois, au lieu de choisir d’être des victimes, pourquoi ne pas revenir au Tout ? À l’immensité du Monde ? Choisir de faire partie, d’être au(x) lieu(x) ?
Le lent cheminement des images de Véronique Caye nous incite à considérer la vacuité de toute chose, à conscientiser l’impermanence. Non en devenant pareil à des moutons en route pour un abattoir quelconque, plutôt en faisant corps avec ce qui est.
Il y a une dimension contemplative, méditative au cœur de ce film, un regard distancié. Chaque moment est unique, chaque endroit l’est tout autant. Pourquoi s’ingénier à la grandeur, la gloire, la puissance alors même que tout est beauté et splendeur ? Il faut maintenant nous recomposer, revenir à une unité avec le Vivant. Être plutôt que paraître.
TEATRO MUNDI laisse après visionnage un sentiment doux et fragile, l’impression légère, mais tenace que la beauté, l’unicité sont toutes proches et qu’il ne tient qu’à nous de les rejoindre.
Prendre des moments pour respirer, regarder ce qui est, l’accepter.
Prendre des moments pour faire ce petit pas de côté et prendre conscience de nos orgueils.
Prendre des moments, surtout, pour éprouver l’Amour du Tout.
Images et montage : Véronique Caye
Sons : Philippe Langlois
Durée : 13’42
Pour visionner le film sur internet
Projection du film TEATRO MUNDI le 22/06/2025 à 18h en clôture de l’exposition de Frank Smith Juste après même si Même si, 39 boulevard Beaumarchais – 75003 Paris
Véronique Caye est représentée par la galerie Analix Forever