Quel est votre feu ?

C’est autour de cette question primordiale que la photographe Linda Tuloup a réuni dix-huit artistes au sein d’un hors-série de la revue Argument. Invitée par François Beauxis-Aussalet, le directeur de la publication, elle interroge chacun, chacune de ceux et celles qui ont répondu avec enthousiasme à son appel sur ce qui les anime, ce feu intérieur qui pousse à créer envers et contre tout.

Le résultat est une très belle revue, à la couverture cartonnée, format A4, où les lecteurs et lectrices entrevoient des brasiers multiples et incandescents.

« Mon feu est vivant. Il danse en moi. » écrit Linda Tuloup en regard de ses polaroids passés par la flamme de l’allumette. De fait, chez elle, comme chez Sandrine Treiner, Colin Lemoine, Gao Bo ou Bruno Perramant le feu est une ordalie, une épreuve initiatique. Ce sont les incendies immenses qui dévastent les États-Unis du Montana à la Californie, l’éruption du Vésuve, les prisonniers politiques condamnés à mort, une peinture au cœur de l’univers. La destruction prélude à le re-création, au renouveau de la mémoire et de l’Être.

Le feu peut être chanson et musique à travers les œuvres de Gael Rakotondrabe ou de Florent Marchet qui note : « Que l’existence soit un baptême du feu. Toujours. ».

Que dire des fleurs de feux d’Anaïs Tondeur et de leur résistance face à la destruction, des étés immenses de lumière des images de Martin Bogren ou des reflets d’or vif qui parcourent celles de Léna Maria si ce n’est que les flammes embrasent le monde pour lui donner toute sa beauté ?

Parfois, le feu est plus intime, intérieur et se propage à couvert. Il habite les peintures de Jérôme Borel, cercles rouges de soleils brûlants pendus à un ciel bleu nuit sous lequel un homme gît. Il couve sous la peau du personnage de Valentin Retz, il ondule, serpentin, avec les spires de fumée d’une cigarette dans les images d’Hervé Baudat.

Viennent les feux alchimiques, transformant le plomb des âmes en or de l’Art. Des mondes incertains de Yosra Mojtahedi aux images piquetées de Sabatina Leccia en pensant par les néons bleutés de Fabien Chalon, chacune des œuvres construites au cœur des athanors personnels devient une transmutation, un ailleurs plein de désirs et de questions.

Où va la lumière s’interroge Fabien Chalon ?

Où va le feu quand il s’étend ?

Peut-être dans ces mots de Yannick Haenel :

«  on goûte à la piété dont elle (la rose d’or) est le signe ardent,

ce qui fleurit en elle s’allume en vous

en moi

tandis que j’écris ce texte

où des feux s’allument comme des fleurs […] »

Avant d’atteindre les dessins brûlants de Magdalena Lamri, paysages consumés de flammes immenses aux lucioles de braises ardentes.

Ils sont donc multiples et créateurs ces feux qui animent les invité.e.s de Linda Tuloup. C’est ce qui marque à la lecture de ce très bel opus : la multiplicité des interprétations de la phrase originelle. Tous et toutes semblent naître du feu, ou plutôt dans le feu, par un bouillonnement intense, un magma duquel ils extraient et tirent la matière de leurs œuvres. C’est parfois brutal comme les violences politiques, ravageur comme ces incendies sans fin qui parcourent le monde, c’est souvent intime et intérieur, une braise qui irradie les veines de sa substance.

Mais la question de la photographe n’est pas anodine ou simplement rhétorique, elle contient aussi une dimension philosophique et propre à chacun.e.

Quel feu nous anime ? Qu’est-ce qui nous maintient là où est le mouvement de la Vie, l’envie de mettre un pied devant l’autre chaque matin, de continuer le labeur ardu de construire une existence au sens incertain ?

Peut-être devrions nous nous interroger justement sur ce qui nous meut, sur nos propres flammes, nos foyers. Un métier, des enfants, créer, nous avons ces choses-là, juste là et quelques fois nous ne les voyons même pas. Mais dès lors que nous acceptons de nous consumer, de briller jusqu’au dernier de nos degrés intérieurs, alors nous sommes pareils au Sisyphe camusien poussant, le sourire aux lèvres, les brandons rouge vif de nos constructions, jour après jour, ligne après ligne, image après image.

Le feu (nous) transporte, fait vivre et voyager, conduit nos existences et dès lors qu’il meurt, nous mourrons, parfois lentement victimes d’une demi-vie sans éclat.

Quel est votre feu ? questionne Linda Tuloup… Oui, demandons-nous vraiment : quel est votre-notre feu ?

Site de la Revue Argument

Site de Linda Tuloup

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