Nouvelle parution chez Process Éditions, Voir les yeux fermés suivi de La peau du monde présente un double travail du photographe Fabrice Domenet. Bien que les deux séries soient indépendantes, elles n’en restent pas moins complémentaires par le regard qu’elles portent sur le monde, et la délicatesse qu’elles contiennent.

Formats carrés, aux teintes sépia, les pages invitent à une flânerie rêveuse, une déambulation intime. Danseur, le photographe chorégraphie son regard, focalisant l’attention non sur ce qu’il voit mais sur ce qu’il ressent de ce qui l’entoure.
La peau du monde s’approche du cœur des choses, ici des fleurs et des plantes dont les pétales et les feuilles deviennent des univers en soi qu’il faut circonscrire et où nous pouvons nous lover.

Un homme est assis sur un banc. Il dort. Un oiseau s’envole. À travers les éclats lumineux une chouette nous regarde avec un sérieux inébranlable. Un cheval, des rayons dans les sous-bois, une carpe koï nage nonchalante.

Le temps n’a pas de prise, les heures ne pèsent rien.

Nous nous penchons alors sur la corolle d’une fleur, aux nervures d’une feuille. L’univers est là, juste devant nous, il suffit de s’arrêter pour en prendre toute la mesure, pour contempler son immensité minuscule et sa Beauté délicate.
Mais il importe, aussi, de ne pas simplement le regarder, au contraire, plutôt de le vivre pleinement.
Avec Voir les yeux fermés, Fabrice Domenet nous entraîne par des sentiers étroits, loin de tout balisage et de toute norme. Alors que nous avons cette habitude de ne plus contempler ce qui est, d’oublier de saisir les choses simplement « comme elles sont », le photographe choisit de s’immerger entièrement, de faire corps avec le réel.

S’en suit une expérience photographique qui va bien au-delà de la photographie. Il n’est plus question de retranscrire, de dire tel quel. À l’inverse, le projet est de s’unir pour être avec. Embarrassés de nos vies effrénées, de nos journées à rallonge, de nos temps comptés, nous n’accordons guère d’importance à une lumière, une feuille, à la fragilité d’une herbe, à la délicatesse d’une fleur. Il faut aller vite, très vite, loin, dans une quête vaine qui nous isole.

Hélas, nous nous perdons et surtout, nous oublions une certaine beauté immédiate qui est juste là à portée de regards.

Le photographe sait à contrario s’arrêter, faire un pas de côté, danser sur le fil de ce qui se trouve à ses pieds et qu’il peut cueillir des yeux. Tout est là, devant soi, des moments sans importances à la mémoire immense. Parce que chacune de ces séquences, chacun de ces lieux, contient en lui toute une histoire passée ou en devenir qu’il nous revient d’écrire et dont nous ne sommes qu’une partie des acteurs.

Mais ce n’est pas tout. Les fleurs de La peau du monde sont autre chose que de simples végétaux : elles sont des parts actives du Vivant, pleines d’une matérialité concrète, une épaisseur, une densité qui les rendent physiques et tactiles même à travers le tirage.

Les œuvres de Fabrice Domenet expriment la splendeur de la simmplicié.

Finalement, l’ouvrage tient de l’expérience au-delà du simple récit. Le monde, sa peau, ses habitants : des espaces sans limites, sans restriction, plein de mystères et d’inconnues qu’il ne faut pas se contenter de parcourir, mais bien au contraire que nous pouvons intégrer pleinement.

Être. Juste être. Sentir. Toucher. Voir. Goûter. Écouter. Faire corps. À un moment parvenir à une sorte d’osmose, un état d’union absolue avec la Grâce.

Plus tard, quand nos existences auront repris leurs frénésies, nous pourrons toutefois prendre un instant, une simple respiration, nous arrêter, fermer les yeux et enfin voir.

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38€