N° 25 la Corderie – Sophie Guin

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©Sophie Guin

Il est des lieux qu’habitent des mémoires, des souvenirs. Ici, au n° 25 la Corderie à Marseille, il s’agit de deux cabinets de psychanalystes. On y vit, on y accompagne ceux qui viennent dénuder leurs âmes ; Sophie Guin, elle, les photographie. Espace familier où s’accomplissent des fêtes de famille par exemple, l’endroit lui reste en partie étranger puisqu’elle n’y vit pas. Avec cet ouvrage, elle nous invite à une déambulation au carrefour du mystère, de ce qui s’y trame et de ceux qui y vivent.

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Un homme est assis face à une bibliothèque. Sur la table, devant lui, des papiers, des notes. Il est de dos et on ne distingue rien de ce qu’il fait alors que sa tête est appuyée sur sa main. Dort-il ? Songe-t-il à quelques problèmes insolubles, à la complexité des âmes humaines ?

Plus loin, une fenêtre, la lumière traverse à peine la pénombre du cabinet. Un lit, un rideau, quelques fragments de papier peint, des images plus anciennes, photos souvenirs d’autres époques, d’autres lieux, d’autres vies.

L’homme revient parfois, souvent de dos.

Le temps est suspendu aux mots énoncés, à la fugacité des instants. Ici, certains vivent, d’autres se disent.

La Corderie, n° 25, garde ses secrets.

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©Sophie Guin

Sophie Guin en choisissant de parcourir un endroit si chargé symboliquement aurait pu prendre le parti de nous le révéler de manière frontale et directe, pas brutale, mais dans son apparence la plus évidente. Mais son choix photographique s’oriente vers un espace intermédiaire, à la frontière entre la rêverie et le réel, presque une sorte d’hypnagogie où le contour des choses prend une dimension différente et onirique. Procédant par touches délicates, elle opère avec les pièces, et ce qui les compose, des rapprochements métaphoriques nous reliant ainsi à ce qui fait la mémoire humaine et le travail analytique. Bien que n’étant ni analyste ni analysante, il y a en creux de ses images des fragments comme des reliquats : le drapé d’un tissu, le souvenir d’un homme, peut-être son père, une lumière, tant d’éléments disparates qui donnent un lent cheminement, une sinuosité proche du rêve.

Au-delà de ça, elle nous convie imperceptiblement à travailler sur la mémoire, sur nos mémoires. Qu’est-ce qui nous reste d’un lieu ? Qu’est-ce qu’il reste de ce que nous y avons vécu, de ceux qui y vivent et y exercent ? Quelle est la part du fantasme personnel, de la réalité ?

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©Sophie Guin

Chaque pièce d’un appartement, d’une maison porte sa propre histoire, cependant nous leur accolons la force de nos propres histoires. En ça, le livre de Sophie Guin a quelque chose d’analytique. Ce que je vis ici n’est pas ce que tu y vis, pas plus que ce dont je me souviens. Chaque mémoire, ainsi, est pleine de vérités et de mensonges, de concrétude et d’abstraction. Il n’y a rien de vrai, rien de faux, simplement des choses qui se sont déroulées entre ces murs, des souvenirs auxquels nous prêtons des couleurs différentes selon nos sensibilités. Nous repensons à des gens que nous y avons aimés, détestés, connus. La famille au sens très large du mot, des êtres de chair et de sang que le temps efface ou effacera peu à peu et qu’il ne faudrait pas oublier.

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À cet instant, il se peut que les lecteurs réalisent que les territoires qu’ils fréquentent sont aussi chargés de diverses choses et que cette charge, trahie par la mémoire, le temps qui passe, la capacité humaine à enjoliver n’est pas la vérité, mais une vérité. Il réalisera l’importance de garder le lien, de tisser l’histoire du lieu, de ses habitants pour ne pas que tout ça s’effiloche dans le vent du temps qui passe.

N° 25 la Corderie est un très beau livre, d’une délicatesse remarquable. La photographe a pris le temps de saisir la complexité et les paradoxes des cabinets. Elle a aussi œuvré page après page pour que nous puissions aussi en ressentir toute la complexité et l’infini des perspectives qu’ils ouvrent quant à nos propres mémoires.

Site de Sophie Guin

30€

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Frédéric MARTIN
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