Géographie – Anne-Sophie Barreau
« En réalité il faut tout dire de […] ces cercles concentriques qui, autour du trouble amoureux, ne faisaient rien d’autre que mettre à jour des pans entiers de mémoire. » C’est avec ces mots que la narratrice de Géographie, roman d’Anne-Sophie Barreau, paru en 2019 chez JC Lattès, nous convie de Paris à Tananarive de San Francisco à Ouagadougou dans une dérive des sentiments amoureux autour de son histoire avec son compagnon Simon.
Puisant dans les souvenirs qu’elle consigne dans de nombreux carnets, elle raconte des territoires d’Afrique, de France, des espaces amoureux où se nouent relation et séparation, mais aussi des instants professionnels et personnels qui forment une constellation complexe que nous pourrions appeler la Vie. Au centre la figure de celui qu’elle aime, parfois bien présente au grée de mutations, mais très, trop souvent, lointaine et perdue dans la labilité des mails et messages sur téléphone portable.
Géographie possède la grâce et le charme des textes qui reposent sur des fragments, des parcelles d’exister. Il ne faut pas ici s’attendre à des rebondissements spectaculaires, à des envolées lyriques. Non. Ce sont les quotidiens tantôt étrangement banals, parfois plein de magie, qui sont relatés. Par son écriture précise, oscillant entre poésie et faits bruts, l’autrice nous transporte dans les lieux et moments de sa mémoire. Or, peu à peu, se noue à son expérience la nôtre. Nos vies, nos amours, nos départs et retours portent aussi des instants sans joie, des bouts de vie incertains, des bonheurs. Il n’en faut pas plus pour suivre cette histoire d’amour et ses fissures. Il n’en faut pas plus non plus pour souhaiter en deviner la suite, même si elle possède en elle les affres de la chute.
S’inscrivant dans la littérature de l’intime, le roman se déploie comme la carte d’un Soi à la rencontre duquel il s’agit de revenir. Raconter sa vie, ou une vie qui pourrait être la sienne, le faire de telle manière que les lecteurs et lectrices puissent s’y relier, voilà qui nécessite à minima du talent, mais aussi une capacité à induire plutôt qu’à dire. Après Proust, il est presque un défi à tenter de donner à la mémoire sa pleine mesure. Or, ici, c’est une belle réussite. Il n’y a pas de moments morts, de lassitude. Nous nous prenons au jeu de reconnaître des personnages dans les rues parisiennes, nous sourions face à celui de Katia de la Redoute qui hante le TGV Paris-Lille, surtout les souvenirs de ces périodes oscillants entre précision et fugacité nous ramènent à nos propres passés, à ce qu’il en reste, à ce que nous pourrions mettre en œuvre pour en garder une trace plus profonde.
Il importe donc maintenant de suivre les cartes de cette géographie pour en découvrir les territoires et lire entre les lignes une histoire humaine.
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