Soledades – Gilles Roudière
Après Trova, son premier ouvrage, Gilles Roudière publie Soledades au éditions lamaindonne. Il y relate une série de voyages effectués en Espagne, notamment dans la province d’Almeria et plus particulièrement le désert de Tabernas (celui qui servit de décor pour nombre de westerns spaghetti, dont le très célèbre Le Bon, la Brute et le Truand).
Mais loin de toute tentative documentaire ou de volonté descriptive, l’auteur se laisse porter par le lieu, l’ambiance et ses propres émotions et sentiments, comme un voyage intérieur. La construction narrative, semblable à un récit de ce qui le traverse, se fait en chapitres. Et ce n’est certainement pas par hasard que Soledades porte en sous-titre nouvelles, tant chacune des parties forme une histoire indépendante mais pourtant reliée à l’ensemble en un tout cohérent. Ce n’est pas non plus fortuit que tout cela ouvre sur des vers du poète Antonio Machado extraits de son recueil Soledades, galerias y otros poemas. Toutefois, il ne faudrait pas que le lecteur se méprenne en pensant que le photographe cherche à illustrer lesdits poèmes. Ceux-ci font écho aux images, qui elles-mêmes leur répondent.
Soledades est une chanson un peu mélancolique et silencieuse baignée de lumière, d’ombres, de chaleur et de questionnements intimes.
Un désert. Au premier plan des agaves. On devine un silence, peut-être troué par le sifflement d’un rapace, le vent, la chaleur qui martèle les pierres. Tout est blanc, jaune et le ciel écrase le monde. C’est la première histoire, celle d’ouverture. Une histoire d’espaces vides, de silhouettes rares et d’arbres morts. Une histoire dans laquelle l’auteur marche sans cesse, sans fin. Il y a beaucoup d’absences, d’ombres denses et un chat fuit dans la torpeur. Puis ce sont d’autres nouvelles, la deuxième, la troisième, la quatrième… La ville se rapproche, ses habitants, reste toujours cette sensation silencieuse, ce vide. Une solitude étrange qui n’est pas tout à fait tragique. On y croise des religieuses en contre-jour, des animaux empaillés et d’autres bien vivants, les souliers vernis de quelques hommes, des porches écrasés par la lumière, une femme qui regarde par la vitre l’intérieur d’un train, des chaussures d’enfants, d’autres animaux. Sans bruit.
Et arrive l’épilogue, une fin de bord de mer, de vagues et d’oiseaux blancs. « Homme libre, toujours tu chériras la mer » disait Baudelaire. Homme libre, tu arrives au terme de ton voyage, de tes pensées.
Soledades est un ouvrage surprenant à plus d’un titre. Gilles Roudière explique qu’il est devenu vraiment photographe dès lors qu’il a ressenti les images plutôt que d’essayer de les comprendre. Ce livre, tout comme son prédécesseur, ne déroge pas à cette règle. La photographie qui nous est donnée à voir puise son origine en dedans, au cœur de territoires intimes fait de silence, de solitude, de mots et d’une forme de liberté qui serait indépendance. Peu à peu, s’invente une musique, une mélodie sourde qui gagne le lecteur dans les pas du photographe. C’est un murmure, mais un air entêtant que l’on ne peut oublier et qui nous obsède la journée, et bien après. C’est la musique de la mélancolie, mais aussi celle de la rencontre. Ça ne swingue pas, ça ne rock pas, ça va et ça vient au gré des lieux visités, des gens croisés, des pensées qui s’agitent. C’est la musique des heures seul, des territoires déserts, des villes où l’on ne connaît pas grand monde et que pourtant, on cherche à ressentir plutôt que de les comprendre. C’est la saudade en image, le sensucht. Mais une image peut-elle dire ce qui se tient dans l’esprit de celui qui la produit ? Devenir un territoire mental, une carte des états d’âme ? Il semblerait que oui.
Soledades porte plus de ressentis que de dits. S’éloignant de la narration, de la monstration trop évidente du lieu, le livre invite à une forme d’errance sensible et intime dans la psyché de Gilles.
Il n’y a pas un bruit, quelques êtres humains, des mains, des flamants roses et puis… Comme une tristesse diffuse, un sentiment d’écart avec le monde, une langueur, le tout dit si subtilement, avec pudeur, qu’il nous est impossible de ne pas le ressentir, sans pourtant être emporté par des émotions démesurées et hors de propos. Poésie fragmentée, histoire d’un accomplissement de soi, voyage intérieur, chanson du silence ? Comment qualifier ce qui ne peut l’être ?
Peut-être que, en toute logique, il convient de se taire. D’achever les textes trop bavards, de se laisser porter. Juste partir dans ces soledades andalouses et revenir souvent aux pages de ce livre magnifique.
Le travail de Gilles Roudière est exposé à l’exposition Détours à la Galerie Le Carré d’Art , du 13/09 au 16/11.
42€