Algues maudites, a sea of tears – Alice Pallot
Algues maudites, a Sea of Tears est un projet de la photographe Alice Pallot paru aux éditions Area Books. Ce travail s’intéresse à la prolifération des algues vertes sur les côtes bretonnes et sur l’impact actuel, mais aussi futur, que celle-ci a et aura sur l’environnement. Ces algues, conséquences directes de l’usage exagérément important d’engrais dans l’agriculture bretonne, ont deux conséquences sur le milieu naturel : d’une part leur décomposition entraîne l’apparition d’un gaz toxique (y compris pour l’être humain) le sulfure d’hydrogène, mais elle appauvri aussi le milieu en oxygène jusqu’à l’anoxie. Le milieu détruit, la biodiversité disparaît et les paysages marins post-apparition des algues deviennent des territoires stériles et morts.
Alice Pallot dans Algues maudites, a Sea of Tears invente une photographie futuriste et dystopique, une photographie d’un monde où les algues auraient envahi la majorité des espaces contraignant les rares formes de vie existantes à s’adapter. Et parmi celles-ci l’espèce humaine a dû choisir des formes d’existence bien différentes que celles actuelles. Les photographies sont accompagnées par un texte de Michel Poivert qui imagine par la voix d’une IA en 2056 un futur écosophique.
Au gré des pages les algues s’étendent. Filaments étranges, lueurs verdâtres, peu à peu il n’y a plus qu’elles. Microscopiques, macroscopiques, les rochers sont envahis, les forme de vie sont abolies. Dans les teintes vertes des visages flous, des Hommes en combinaison, des corps allongés dans l’eau, et les filaments algueux diffusant comme une lèpre.
Il n’y a plus de bruits, de chants d’oiseaux, les photographies sont silencieuses, oppressantes.
Les anciennes civilisations sont mortes, se suicidant de trop vouloir de richesses et de pouvoirs.
Avec cette dystopie, Alice Pallot lève le voile sur un futur possible. Un futur où l’humanité aura été son propre bourreau. C’est une des principes du genre : imaginer ce qu’il pourrait se passer de pire en prenant une situation donnée et déjà dramatique. Le problème des algues vertes est récurent sur les côtes bretonnes. Chaque été, présence des estivants oblige, il est mis en avant Mais c’est oublier que les algues sont là en permanence, sur les côtes, et que pas grand-chose n’est fait pour lutter contre. L’origine du phénomène est bien connue : trop de nitrates et de phosphates, dans les sols, qui partent directement dans l’océan lessivés par la pluie nourrissant ainsi des algues qui ne demandent que ça. Las, les pouvoirs publics, les gouvernements laissent faire, accompagnent ça de quelques mesurettes quand la situation est trop critique, préférant poursuivre ce modèle agricole ultra-productiviste qui est la norme actuelle.
Sauf que Algues maudites, a Sea of Tears soulève une question fondamentale : que va-t-il se passer le jour où les algues vertes auront envahi la majorité des écosystèmes et de fait les auront détruits ? Comment survivre sans oxygène alors même que c’est la base de notre vie ?
Les photographies d’Alice Pallot ont quelque chose de dérangeant, d’angoissant. Page après page, au gré de ces algues filamenteuses, de ces lumières verdâtres, le lecteur perd le souffle, ses capacités respiratoires s’amoindrissent. Demain, il ne pourra plus respirer, et il mourra asphyxié. Seuls quelques rares survivants, cosmonautes du chaos, auront pu enfiler à temps ces combinaisons de survie malcommodes mais vitales.
Est-ce que c’est ça que nous voulons suggère en creux Alice Pallot ? Est-ce que nous sommes près à sacrifier nos vies pour des rendements agricoles, des tonnes de blé ou des élevages de porcs ?
La question semble essentielle et pourtant elle ne soulève pas les foules et encore moins les politiques. Il y a quelque chose de fascinant, et des dystopies comme celle présentée ici le montre merveilleusement bien, dans la capacité des êtres humains à s’autodétruire. Il en existe quand même assez peu dans le règne du vivant des espèces qui ont cette faculté de tout faire pour que le pire arrive.
Lire Algues maudites, a Sea of Tears c’est plonger (sans jeu de mot) dans un récit terrible : celui d’une destruction annoncée, d’un cataclysme en marche. Un parmi des centaines, puisque les algues vertes ne sont qu’un maillon de la chaîne du désordre que nous appelons progrès.
Il faut des personnes comme Alice Pallot qui insistent sur ce qui ne va pas, qui projettent un futur. Parce que la prise de mesures drastiques passe par là, parce que tout n’est pas forcément une fatalité, les possibilités de changer de paradigme existent. Mais, il importe d’abord que nous prenions conscience de ça…
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