Croiser passé et présent en photographie n’est pas toujours chose aisée. On peut tomber soit dans un passéisme aussi désuet que dépassé ou bien privilégier une modernité parfois arrogante. Thierry Girard avec son ouvrage Le monde d’après publié aux éditions LightMotiv évite avec brio l’un et l’autre de ces écueils. A la fin des années 70 le photographe a parcouru le Nord de la France, photographiant sa population, ses espaces marqués par l’activité minière omniprésente. Il en résulte une somme de photographies noir et blanc témoins d’une époque où la région vivait ses derniers instants de sérénité économique avant qu’on ne décide de fermer toutes les mines. Quarante ans plus tard, il retourne dans la même région et nous offre des images couleurs de ce monde d’après. D’après la fermeture des mines, des usines, d’après le chômage de masse, la misère galopante, d’après les luttes…

Omniprésence…

Les terrils sont là, page après page, tantôt désertiques, noirs, tantôt couverts de végétation ou transformés en piste de ski. Ils ne font pas partie du paysage, ils sont le paysage, montagnes-vestiges d’une France industrieuse.
Puis, il y a les gens. Ceux qui vivaient là autrefois, qui assistaient à des combats de catch, qui remontaient de la mine, kyrielles d’enfants devant les murs aveugles de brique rouge. Elles n’ont pas disparues ces maisons de briques d’ailleurs, maintenant elles côtoient des pavillons où vivent les travailleurs du XXIème. Chacun son coron, tout n’est au fond qu’une question d’époque.
Puis, le temps qui passe, noir et blanc, des vélos, des jeux, des baisers. Puis le temps qui passe, couleurs, brocantes, chevalets aux creux d’un fouillis de végétation et de zones commerciales.

Le monde d’après n’est pas un livre de souvenirs. Ou alors, il montre un souvenir universel, une mémoire de ceux qui habitent ces lieux. Parce qu’au fond du monde d’avant au monde d’après il n’y a pas grande différence, même si tout est différent. Certes, le paysage est modifié, la végétation a repris ses droits sur l’activité industrielle. Certes, les zones commerciales se sont étendues, morcelant les lieux, les couvrant de panneaux publicitaires. Certes le chômage a détruit l’activité minière et rendu celle-ci à la nature. Là est la rupture.

Mais pourtant, il reste cette impression que derrière le bouleversement il y a quelque chose d’immuable. Les Hommes eux ont-ils vraiment changé ?

Quand dans les années 70 Thierry Girard photographie des enfants jouant et qu’il prend en photo, une fête foraine en 2017, on peut s’interroger. Les portraits, nombreux, vivants, joyeux ou graves qui parsèment l’ouvrage sont comme des moments d’intimité, d’amitié avec ceux qui sont l’âme de la région et sa mémoire. Les gamins qui couraient au moment du choc pétrolier sont devenus parents et regardent leurs enfants s’amuser dans un monde où l’économie ne va pas forcément mieux
C’est une des très grandes forces du livre, cette capacité à mettre en perspective, à relier les temps qui se succèdent, se ressemblent. Tout a changé, mais tout est pareil…

Thierry Girard ne fait pas dans le misérabilisme, il ne photographie pas la pauvreté. Il n’insiste pas non plus sur les luttes sociales, même si elles sont là en filigrane. Par contre, il s’immerge dans ce territoire, il le fait sien, et nous en offre un panorama sinon complet au moins conséquent. Surtout, il a ce regard complice, cet amour du lieu et de ceux qui le font vivre. On sent à travers ses photographies un respect, une sorte, peut-être, d’admiration pour ce Nord qui fait trop souvent rire.

Avec Le monde d’après on vit deux vies : celle d’avant, celle de maintenant. Mais, plus que ça, on découvre et on s’émerveille. On nous a rabâché les oreilles avec un monde d’après qui devait advenir… Pour le moment il n’en existe qu’un, aussi beau que surprenant, et c’est celui de Thierry Girard.

Retrouver le travail de Thierry Girard

Acquérir le livre chez LightMotiv

39€

Format 25 x 30 cm

210 photographies (110 N.B, 100 couleur)

Livre de 240 pages dont :

232 pages sur papier Condat Périgord

8 pages sur papier Savile Row Camel

Photographies et textes : Thierry Girard

Conception graphique : Studio Agnès Dahan, avec Nolwen Lauzanne

Couverture reliée cartonnée, papier texturé Savile Row Dark Grey, photographies en cuvette

Dos rond, tranchefile

ISBN : 9791095118107