Mood – Stéphane Mahé

Stéphane Mahé mood éditions de Juillet
©Stéphane Mahé

 

Paru aux éditions de Juillet (pour leur troisième collaboration) Mood par Stéphane Mahé pourrait se lire comme un voyage infini dans des instants fragiles.

Tout dans ce livre ramène au moment, à ce qui se passe de minuscule et d’immense.

Tout dans ce livre invite à lire la vie telle qu’elle se présente et s’écoule.

Tout dans ce livre pousse au souvenir, à l’éphémère de celui-ci.

Les images numériques offrent pourtant une sensation de matérialité proche de la peinture à l’huile qui nous invite à les lire comme des toiles de maître indépendantes formant cependant une histoire concrète.

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L’ombre d’une femme s’expose sur un mur de pierre dans une pénombre dense. On ne sait si c’est l’après-midi, une nuit de pleine lune un peu inquiète.

Puis, il y a cette autre femme virginale dans sa robe qui marche dans un champ de tulipes couleur de sang.

Un homme traverse des arcades, un oiseau s’envole à son approche.

Des plages, des rochers, des bords de mer et quelques personnes seules, toujours seules.

On voyage entre les toiles de De Chirico, Vallotton ou Hopper. On s’invente des histoires à chaque image, de vies tragiques et pleines de douceur, des moments de joies secrètes, d’amours sans possibilités, de vacances océaniques.

Et une fois Mood refermé on comprend que chaque photographie n’est que la part d’un tout plus vaste où tout est relié dans un élan poétique.

Stéphane Mahé mood éditions de Juillet
©Stéphane Mahé

 

Bien sûr, il y a le mood, cette humeur qui colore chaque page. Parfois inquiète, parfois délicate, toujours ténue presque prête à se briser.

Parce que c’est de ça, aussi, dont il s’agit dans ce livre qui se vit comme un voyage : tout est là, il suffit de s’en saisir, comme s’en sont saisis tant de peintres et non des moindres. Mais si l’on oublie que ça a été, que ces moments de vie furent, alors nous risquons de perdre l’essence d’Être.

Ce que Stéphane Mahé propose c’est avant tout un carnet d’esquisses du quotidien, du banal. Mais un carnet sublimé qui ne se contente pas de relever ce qui est.

En effet, ses photographies se décalent d’un petit pas du réel pour entrer dans une dimension poétique et onirique où les choses deviennent incertaines et magnifiées. On flotte dans des limbes, quelque part dans un univers où les repères s’abolissent peu à peu, s’effacent au profit de la narration la plus pure.

Qui sont ces femmes, ces hommes qui reviennent page après page, silhouettes minuscules perdues dans l’immensité du monde ? Nous ne le saurons surement jamais, mais nous pouvons inventer des existences, des vies qui ne sont pas les nôtres.

Frédéric Martin livre photo chronique
©Stéphane Mahé

 

Dans un texte initial, le poète Yvon Le Men écrit :

 » c’est la nuit

qui fait le rêve »

Et ce sont les photographies de Mood qui concourent à donner à ce rêve une forme tangible. Parce que les images de Stéphane Mahé ne sont pas que des images : elles sont bien au-delà. Nous l’avons dit chacune d’entre elles porte les germes d’une histoire plus vaste, d’humeurs labiles et incertaines. Mais ce serait réduire ce travail que de n’y voir que ça.

Par cette limite ténue entre peinture et photographie, par la puissance narrative que contient ce livre on peut penser aussi que le quotidien, son appréhension, porte en lui quelque chose d’infiniment plus complexe que ce que nous voulons bien lui accorder.

En effet, quand le photographe s’attarde sur des moments, des personnes, des lieux, quand ses humeurs transparaissent, quand on vacille entre l’inquiétude d’une nuit sans lune, la pesanteur d’un ciel d’orage ou la solitude d’un homme sur une immense route américaine, on se retrouve face à la condition humaine.

Mood propose un périple dans les existences, dans la multiplicité de celles-ci et par la même propose aussi un regard singulier sur ce qu’est être un humain.

Yvon Le Men évoque Gaspard David Friedrich dans son texte, on pourrait aussi invoquer Balzac, Céline ou Camus par moments si nous devions mettre des mots sur les images.

Stéphane Mahé mood éditions de Juillet
©Stéphane Mahé

 

Mood est sans doute possible un très grand livre qu’il faut prendre le temps de découvrir. On s’attardera certainement d’abord sur la richesse des images, sur leur pictorialité, mais une fois ceci dépassé, absorbé, le lecteur ne pourra s’empêcher de voyager dans ses propres univers, de s’inventer ses propres récits.

Nous n’avons pas les mêmes existences que Stéphane Mahé, très certainement, mais il a le talent remarquable, en nous proposant les tableaux qui composent la sienne, de nous ouvrir à la lecture de mondes qui pourraient être les nôtres.

Merci à lui pour ces scènes, merci aussi à lui pour ce voyage déroutant et intime. Nos humeurs sont aussi fragiles que le vent, l’herbe ou le sourire de ceux qui nous aiment, tâchons de nous en saisir aussi bien que Stéphane le fait avec les siennes.

Instagram de Stéphane Mahé

Site des éditions de Juillet

42€

 

 

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Frédéric MARTIN
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