Songe d’Oubli – Pia Elizondo

Pia Elizondo Songe d'Oubli Arnaud Bizalion éditeur
©Pia Elizondo

 

Paru chez Arnaud Bizalion Éditeur, dans la collection Notes, Songe d’Oubli de la photographe Pia Elizondo nous amène dans le territoire incertain des rêves, des fragments de ceux-ci.

A travers ce petit livre, presque un carnet de voyage des espaces oniriques, nous traversons mille instants fragiles, en équilibre, nous croisons des chimères parfois bien réelles.

Pia Elizondo Songe d'Oubli Arnaud Bizalion éditeur

 

Une patte de chien sur un parquet et un tapis.
L’océan ou la mer, une lune comme un œuf. Mais peut-être n’est-ce qu’un reflet ?
Un lézard plat au regard scrutateur.
Des jambes de femme gainées de résille, comme un désir à assouvir.
Une énorme chenille, velue, sur une faucille.
Un parapluie cassé.
Un chat blanc…
Des fragments, un à un, mémoire effilochée au réveil quand le rêve n’existe même plus à l’état de souvenir.
Rémanence des images portées par une poésie dense, c’est doux et étrange, c’est angoissant et confus, c’est beau et inquiet.
Et cette phrase de Salvador Elizondo : « […] les images qui conservent encore la torpeur et la laxité de leur propre songe d’oubli. »
Pia Elizondo Songe d'Oubli Arnaud Bizalion éditeur
©Pia Elizondo

 

Dans une interview menée par l’éditeur Arnaud Bizalion, retranscrite à la fin de Songe d’Oubli, Pia Elizondo nous dit :  « la narration de ma vie nocturne m’a toujours échappé. »
Et de fait, dans cet ouvrage, il ne s’agit pas de suivre un rêve qui serait raconté d’un début (si tant est que les rêves en aient) à une fin. Au contraire, nous naviguons, page après page, dans un territoire étrange : celui où il reste quelques lambeaux du rêve, quelques images fortes et marquantes, mais dont le sens général nous échappe.
Très certainement tous les rêveurs ont dû ressentir ceci au matin, ou parfois dans la journée : un moment clé, une rémanence, qui parfois tient plus de la sensation, émerge sans que nous puissions lui donner une cohérence, sans même que nous puissions la raccrocher à quelque chose de plus général.
Dans le livre de Pia Elizondo ils sont nombreux ces instants. On y croise foule d’animaux, du chat qui hante les nuits au papillon à la vitre, mais il y a aussi toutes ces scènes banales (un homme dont on ne voit pas la tête attend, des stalactites de glace etc.) qui pourraient aussi faire parties de nos songes.
Et c’est ce croisement entre la banalité extrême et la possibilité intrinsèque portée par chacune des images qui pousse le lecteur vers un espace où il n’y a rien ou tout.
onirisme chronique livre photo
©Pia Elizondo

 

Parce que c’est la force du rêve, possiblement du cauchemar et certaines images de Songe d’Oubli sont plus proches de celui-ci, d’être tout à la fois incompréhensible et porteur d’une histoire entière.
Or, le livre, ses photographies, savent jouer avec cette ambiguïté, ce paradoxe. L’image en soi n’est qu’un fragment, ceux que nous évoquions initialement, et en tant que telle, elle pourrait ne rien dire. Mais, parce que le souvenir du rêve permet de réinventer une histoire, chaque image se suffit à elle-même.
Dans un second niveau de lecture vient la possibilité que toutes les photographies soient les mêmes étapes d’un songe. Parce que justement le rêve ne porte pas en lui de cohérence immédiate (sauf à chercher à le décrypter ensuite par un biais ou un autre), la succession mise en place dans Songe d’Oubli pourrait être un récit complet : avec ses peurs, ses joies, ses désirs cachés ou refoulés, avec ses craintes ou ses émerveillements.
Cette oscillation, ces multiples possibles ouvrent dès lors bien des perspectives de lecture et de compréhension de l’ouvrage.
Songe cauchemar
©Pia Elizondo

 

Dans la culture aborigène, le Temps du Rêve désigne l’ère qui précède la création de la Terre. Il n’y avait rien et les Dieux, notamment Baiame, ont donné sa forme au monde en le rêvant, ont établi un pont entre un espace spirituel, sacré et notre Terre.
Rêver serait donc un acte créateur, une possibilité qui s’offre au rêveur de refonder ce qui l’entoure.
Bien sûr Pia Elizondo ne suit pas une voie mystique avec Songe d’Oubli et n’est pas aborigène, mais on peut se questionner sur la possibilité créatrice du songe.
En effet, ces voyages nocturnes, imparfaits puisque la plupart du temps incomplets, fragmentaires, ne sont-ils pas aussi une manière de « comprendre » ce qui nous entoure ? De mettre avec le temps diurne une forme de distance ?
Toujours dans l’interview, Pia explique qu’il y a aussi dans son travail une manière d’éclairer, ou au moins de mettre en avant, des choses qui l’angoissent, des peurs. Or, si on rejoint les mythes aborigènes rêver c’est créer, comprendre aussi. Le monde existe parce qu’il a été construit ainsi.
Ce livre pourrait ainsi se lire à travers ce prisme : garder quelques traces, mêmes infimes, des songes, de leurs diversités, serait aussi garder la capacité sinon à décrypter, du moins jeter un regard plus clair sur nos vies, nos joies, peines, doutes et angoisses.
Pia Elizondo Songe d'Oubli Arnaud Bizalion éditeur
©Pia Elizondo

 

Bien sûr, Pia Elizondo ne photographie pas ses rêves, mais il y a dans Songe d’Oubli toute une histoire, une trame très vaste qu’il est facile de s’approprier.
L’image porte un récit, le livre invite à suivre nos propres promenades oniriques.
Parfois, il est bien de ne pas chercher à trop intellectualiser ce qui ne peut pas vraiment l’être.
Il suffit alors de se laisser porter par le flux des images, des photographies, leur beauté poétique, leur surgissement qui nous bouscule, nous transporte, nous émeut.
Et au fur et à mesure nous aussi nous suivons les songes de cet étrange petit livre en comprenant qu’ils sont aussi les nôtres.
Nous les oublierons, parce que c’est leur lot, leur nécessité, mais nous ne pourrons, par contre, pas oublier ce que nous a offert Pia Elizondo de la plus belle des manières.
 

16€

 

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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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