Insurrection créatrice – Christine Delory-Momberger / Valentin Bardawil

 

 

Dans une précédente chronique consacrée aux livres de C. Delory Momberger et V. Bardawil « Exils/réminiscences » et « Le pouvoir de l’intime » s’était posée la question suivante: « Les auteurs ont su proposer une autre lecture des mondes. Une fois les livres refermés, reste cette sensation que quelque chose de nouveau est là juste devant nous. Mais quoi? »

Insurrection créatrice, chez A.Bizalion Editeur, est peut-être un élément de réponse. Cet ouvrage sonne comme la chronique, plus que le récit linéaire, de ce qui apparaît comme un acte fondateur d’une nouvelle voie dans la création artistique, dans la rencontre humaine.

Le premier opus de Christine Delory Momberger procède de l’enquête, la découverte, comme  une mise à nu de ce qui devra ensuite se dévoiler. Travail archéologique du Soi, de l’Autre, de l’Intime. Le second opus en collaboration avec Valentin Bardawil de Photo Doc. fait presque figure, maintenant, de Manifeste. Il définit ce qu’est le pouvoir de l’Intime, cette évidente recherche de Soi dans l’altérité, le besoin, aussi, qu’aura la photo documentaire de s’intéresser avant tout à ce qui adviendra quand les Hommes auront abandonné l’Art comme seul objet pour qu’il devienne pouvoir de ré-union.

Ce troisième livre offre à mon sens une réalisation concrète, une mise en actes. 

 

Delory Momberger insurrection bardawil
©Valentin Bardawil

14 mars 2020.

Sur la scène d’un théâtre parisien du XIXème arrondissement, six jeunes migrants, acteurs du Good Chance Theater vont jouer une pièce unique. En arrière-plan défilent des images de la trilogie  de Christine Delory-Momberger. Des textes seront déclamés en langues allemande et française. Il est question d’exils, de souffrance, de mort. Il est question d’oublis, d’abandons. Il est question, aussi , d’amour et d’espoirs.

En aucun cas, les photographies ne servent de support ou d’illustration. Les acteurs évoquent leurs exils contrepoint à ceux du livre, échos. Et c’est avec ce pont entre deux abîmes que se tisse le lien.

Delory Momberger insurrection bardawil
©Valentin Bardawil

 

En effet, dans Exils/réminiscences, Christine Delory a travaillé sur sa mère, exilée italienne en France, reconstruit une histoire familiale éclatée, dispersée. La pièce écrite en quelques jours fait récit, enquête, des parcours chaotiques de migrants parvenus dans cette même Europe pour y chercher les mêmes sécurités et protections. On ne peut que relever le parallèle fort entre ces moments pourtant lointain. L’Histoire ne bégaie pas, elle se répète inlassablement depuis des millénaires et sert de support à l’apprentissage.

Parce que c’est aussi, peut-être même surtout, ce qui rend cet acte intemporel: des gens ont quitté patrie et parents, se recréant des vies ailleurs, loin. Toujours il y a cette sensation de vide, de vertige. Migrant irlandais sur le sol américain, arménien à Paris ou turc dans les banlieues de Berlin, comme une mise en abyme de la question humaine. L’Homme fuit, l’Homme se réinvente (et la mise en scène proposée ici est justement un acte de re-création), l’Homme va vers l’Autre.

Delory Momberger insurrection bardawil
©Valentin Bardawil

 

Mais résumer Insurrection Créatrice à une performance théâtrale serait faire peu d’honneur au texte. Parce qu’il contient, en germe, un potentiel créateur, un changement de paradigme fort.

Le 14 mars est aussi la veille d’un confinement qui va condamner la population française, mondiale aussi, à une promiscuité forcée, un repli sur Soi involontaire. Or, que nous propose cet ouvrage si ce n’est renouveler notre vision, notre réflexion du Monde d’abord? Ensuite, et surtout, notre appréhension de l’Autre? Là où Le Pouvoir de l’Intime faisait figure de texte fondateur, Insurrection Créatrice offre un résultat effectif. Il est possible de re-lier les Hommes dans une autre conception de la geste humaine. De les faire à nouveau se rencontrer par leurs histoires communes, leurs choix de vie, leurs passés et surtout leurs présents.

Ce choix de société qui nous est proposé émerge alors que chacun des protagonistes a dû affronter ses propres deuils, ses pertes, ses désillusions.

Delory Momberger insurrection bardawil
©Valentin Bardawil

 

Nous en sommes maintenant au second confinement. Un troisième est déjà évoqué. Noël est soi-disant sauvé. Le Noël des restaurateurs, cinémas, théâtres ou celui des Gafa?

Bien que certains aient clamés que le monde d’hier était mort et enterré, il apparaît, alors que les lieux de culture restent désespérément clos, alors que les librairies sont jugées non-essentielles, que ce Vieux Monde est toujours aussi vivant. Peut-être même plus encore. Et que les êtres humains n’y ont pas de place en tant que tels.

La performance de ce 14 mars et son récit résonnent comme de véritables espoirs. Parce que le travail de la photographe, le travail des acteurs, du metteur en scène, du vidéaste, cette recherche d’une autre voie, ce besoin de reconnaître dans l’Autre celui que nous sommes et dont nous héritons, devient une véritable urgence.

Mettre fin à l’Individualisme, reconstruire, construire un Demain n’est plus une option. Il faut de toutes nos forces emboîter les pas de ces précurseurs et proposer par l’Art une véritable Insurrection. Se renouveler Soi tout d’abord pour accéder à l’Autre. Changer nos actions, créer, éviter la beauté du geste pour aller vers des gestes avec du sens. Il faut voir dans ces jeunes migrants, ceux qui ont eu le courage insensé de tout quitter parce que l’Ailleurs procède d’espoirs que l’Ici ne permet pas, des guides pour un devenir meilleur, pour un en-commun autrement plus fraternel.

Cette insurrection est le pont entre les vides, le filet que l’Humanité devra utiliser pour se sauver.

Lee site de Christine Delory-Momberger

Photodoc Paris

Le site du Good Chance Theater

Christine Delory est représentée par L’agence révélateur

Editions A Bizalion

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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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